La chronique onirique de Page – Episode 14

Posté dans : Feuilleton 1
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités seront civiques, sexuées, et parleront de choix personnels, d’occupation du temps, et de Grandes Causes. Alors asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Femmes.

Au moment où Page écrit ces lignes, nous sommes le lundi 8 mars et, comme vous le savez sans doute, c’est la Journée Internationale des Femmes. Réjouissez-vous donc, mes lectrices adorées, car cette semaine, Page a décidé de rêver sur vous (quant à vous, mes lecteurs adorés, vous pouvez relire la chronique précédente, ou patienter jusqu’à la suivante, ou alors changer de sexe et/ou de genre, voire prétendre que ceci n’est pas une raison suffisante pour ne pas vous intéresser à la présente chronique).

Il y a quelques années, une amie de Page, affligée d’un mal assez fréquent chez les femmes de son âge (une grossesse désirée), lui déclara quelque chose : “Dans la rhétorique politique qui a guidé l’élaboration des lois régissant ce beau pays, le congé maternité nous est octroyé, à nous les femmes, dans le même esprit de service à la nation que la disponibilité due aux hommes lorsqu’ils partent faire l’armée ou y retournent un petit coup pour qu’ils n’oublient pas comment on tue son semblable, ce qui serait fort dommageable, tu en conviendras comme moi. Donc j’ai le droit de ne pas aller travailler pendant un moment parce que je garde l’arithmétique des populations dans le positif pour la Nation, contrairement à un homme quelconque qui quant à lui apprend à faire en sorte que l’arithmétique de l’Ennemi soit dans le négatif.” Page ignore quelles sont les sources de son amie, mais cette petite idée resta gravée à jamais dans sa tête où, comme les petites idées ont tendance à le faire, en général, elle resta en friche, produisant de temps en temps une petite récolte de questions sans queue ni tête, jusqu’à la semaine dernière.

La semaine dernière, en effet, un ami de Page entra dans son bureau en déclarant : “Putain les salauds, ils me font payer une taxe militaire de 1’000 francs pour m’être fait réformer, te rends-tu compte, Page ? Tout ça, simplement parce que je ne suis pas jugé apte à tuer l’Ennemi dans le respect des usages, des traditions, et de la morale ?” En effet, si l’on est un homme et que l’on ne participe pas à l’effort militaire, en Suisse, on doit s’acquitter d’une taxe (dont les recettes servent sans doute à acheter ces si jolis uniformes, ces si rutilantes munitions, et ces si pimpants chars d’assaut qui font la joie des petit.e.s et des grand.e.s, pour peu qu’illes ne soient pas l’Ennemi).

Imaginons maintenant, puisque la volonté du législateur semble être d’établir, en toutes choses, des symétries de statuts et de devoirs entre les hommes et les femmes (geste certes louable, mais manifestement plus compliqué dans les faits que sur le papier), imaginons que mon amie ait raison, et que le droit au congé maternité soit effectivement le pendant féminin du service sous les drapeaux. Ceci impliquerait logiquement un traitement égalitaire (pour une valeur donnée d’égalité) face à l’accomplissement de ces services. Ce qui voudrait dire, si Page a bien compris, qu’une femme sans enfant est en quelque sorte débitrice de la Nation. Le principe de la taxe pour hommes peut être exprimé par la phrase « Vous ne tuerez pas l’Ennemi, donc payez pour que d’autres le fassent à votre place ». Eh bien, dans un souci de symétrie, appliquons, en rêve, le même principe à la maternité : « Vous ne serez pas mère, donc payez pour que d’autres le soient à votre place ». On taxerait donc les femmes inaptes à procréer, après vérification, pour payer crèches, garderies, ou maternitaires de métier…

La scène ne manque pas d’un petit côté monstrueux : On y verrait des fonctionnaires de l’Etat vérifier dans le corps des femmes si oui ou non il est probable qu’un jour elles seront en mesure de faire un enfant. Puis de les soumettre à un questionnaire d’évaluation psychologique. Puis de leur déclarer : « Ca arrivera sans doute, vous pouvez disposer », ou alors « Vous n’êtes pas apte. Veuillez vous acquitter de cette somme jusqu’au restant de vos jours ». Bien sûr, on pourrait imaginer un équivalent du service civil (le service stérile ?), qui permettrait à certaines de s’acquitter de leur dette d’une autre manière, en adoptant un enfant né hors des frontières, par exemple, ou en rendant un autre service sans grand rapport, comme par exemple participer à une oeuvre d’utilité publique, tout en culpabilisant de ne pas vouloir se plier à la règle. Mais les dirigeants de ce beau pays se verraient ensuite forcés de serrer la vis, obligeant ces femmes-là à rester mères un mois avant de se prononcer sur leur demande de service stérile. Et, comme ces choses-là se font, il y en aurait toujours pour tricher, pour mentir sur leur état de santé physique ou mentale, pour échapper à ce service pourtant si beau et si vital…

Quant à celles déclarées aptes, il n’existe pas non plus de garantie qu’elles auront un jour un enfant. Que faire dans ce cas-là ? Les montrer du doigt vengeur de l’infamie et de l’opprobre, en les stigmatisant comme de mauvaises citoyennes (comme il est d’ailleurs d’usage, dans certains cercles, de le faire pour les hommes réformés par des médecins trop complaisants) ? Mais dans ce cas, il faudrait aussi s’assurer que les hommes, ceux qui sont aptes à apprendre comment tuer l’Ennemi, qui ont reçu la formation de base, plus les petits retours réguliers, que ceux-ci soient effectivement aptes à tuer un de leurs semblables, et en aient aussi l’envie. L’exercice semble certes un peu vain, mais il en est ainsi de toutes les Grandes Causes Citoyennes. Puisque l’on souhaite faire des hommes des soldats, et des femmes des génitrices, il n’y a que ce moyen, non ?

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  1. Avatar
    Mum48
    | Répondre

    Affreusement drôle…

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