L’empreinte de la société sur le suicide

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Chaque année, entre 1'300 et 1'400 personnes commettent l’acte irrémédiable. Mais, y a-t-il un impact de la société sur le taux de suicide ?
   Autant il est fréquent de voir des publicités sur la prévention routière autant il est rare de voir une couverture publicitaire et médiatique équivalente pour la prévention du suicide. Or, le suicide est une cause de décès plus fréquente que l’ensemble des décès causés par les accidents de la route, le sida et les drogues. Le suicide est, aujourd’hui, la cause de décès la plus fréquente chez les hommes de 15 à 44 ans. Tout comme le suicide, le sida a longtemps fait l’objet d’une réprobation sociale jusqu’à ce que les pouvoirs politiques, scientifiques et tout ce que la société compte de prescripteurs se mobilisent.  Il est temps que l’on agisse de même pour ce fléau.



Sur une population de plus de 7 millions d’habitants entre 1’300 et 1’400 personnes se suicident chaque année en Suisse. A noter que les sociologues affirment que les statistiques officielles seraient sous-évaluées de 20 %.   

Le suicide: un fait de société anecdotique ?





L’onde de choc propagée par un suicide a des effets hautement plus perceptibles pour la population. On estime chaque année le nombre de tentatives de suicide entre 15’000 et  25’000. La vague de chagrin qui frappe les familles n’est pas quantifiable. Pourtant le deuil traumatique qu’il entraîne dure plus longtemps que les autres. Les sentiments de culpabilité et de honte qui s’emparent des proches rendent le deuil encore plus difficile à surmonter.

Le suicide est un acte individuel. Chacun fait face à des difficultés de parcours différents et chacun a ses propres réactions. Il n’empêche que nous vivons tous dans la même société, nous sommes tous empreints de ses valeurs et subissons tous ses changements. Les conditions économiques et sociales, les valeurs culturelles influent sur cet acte individuel et sur le taux de suicide, c’est indéniable !

Les divers facteurs suicidogènes

La solitude et la pauvreté des liens sociaux accroissent le risque de suicide. En effet, les personnes vivant seules et les parents isolés ont un risque de tentative de suicide deux fois supérieur à celui des personnes vivant en couple avec un enfant. Les chômeurs et les personnes à l’aide sociale sont aussi un groupe à risque. De même, les personnes sans formation et celles ayant reçu une formation de niveau primaire sont plus vulnérables que les autres groupes. On remarque aussi qu’une élévation de la fréquence des divorces s’accompagne par des taux de suicide très élevés. A l’intérieur des pays européens, ce sont les régions périphériques, les plus rurales et les régions les plus pauvres où l’on se suicide le plus.

Les périodes de crise économique influent sur le taux de suicide, ça semble évident au premier coup d’œil, mais ce qui peut paraître étonnant c’est quand la richesse nationale (PIB) augmente de manière significative le taux de suicide repart à la hausse. Ce fait a pu être observé lors de la révolution industrielle. On s’attendait donc à une montée du suicide à l’époque des Trente Glorieuses. Ce phénomène ne s’est pas reproduit car à l’intérieur de la société, des facteurs favorables tels que le développement de la scolarisation, de la carrière, et l’avancement des associations et des luttes sociales (hausse des salaires) permettaient aux individus de se construire un avenir. Le pouvoir d’achat qui a profité à la majorité (grâce notamment aux luttes sociales) de la population à cette époque est un important facteur bénéfique qui expliquerait la stagnation du taux du suicide durant les Trente Glorieuses.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ce n’est pas la richesse qui est  néfaste, mais les nouvelles formes d’organisation sociale qu’elle engendre. L’individualisme qui s’ensuit casse le ciment intégrateur et protecteur de la société. Mais, il faut tempérer cet aspect car, comme le disent Christian Baudelot et Roger Establet dans leur livre Le suicide, « La société industrielle et urbaine du XIX et du XXème siècle était capable de fournir, sous des formes inédites, des raisons sociales d’exister, de se projeter dans l’avenir ainsi que des formes d’interactions tout aussi gratifiantes et efficaces que celles qu’assuraient, dans la proximité immédiate, les familles et les communautés villageoises.» Espérons que la société du XXIème saura fournir à chacun de quoi construire l’estime de soi dans ses interactions avec les autres.

La jeunesse

Le taux de suicide chez les jeunes est à surveiller de près. C’est un âge critique dans la construction de soi et les facteurs environnementaux ne sont pas au beau fixe. Un jeune rentre aujourd’hui dans le marché du travail avec des perspectives professionnelles moins importantes qu’à l’époque de ses parents. Les jeunes générations, faute d’apprentissage, font une dixième année et les hautes études ne sont plus une sécurité sur le marché de l’emploi. De même, certains universitaires passent sans transition de leurs bancs de l’université à la chaise d’un conseiller du chômage. L’accroissement du travail instable (comme l’intérim) et des emplois précaires angoisse et plonge la jeunesse dans l’insécurité. Pour elle, il devient de plus en plus difficile de faire des projets d’avenir. 

Les améliorations à venir

Le taux de suicide a baissé depuis les années 80, mais le taux suisse reste supérieur à la moyenne européenne. Pour abaisser le taux de suicide en Suisse, différents points sont à améliorer.

Tout d’abord, il faudrait mettre au point un programme de prévention national. Pour l’instant la prévention repose sur les Cantons. La Finlande a réussi, avec un programme national, à abaisser son taux de suicide de 30 %. L’autre constat est que les programmes de prévention actuels ciblent les jeunes jusqu’à 20 ans alors que le groupe à risque, c’est-à-dire les personnes âgées et les hommes de 20 à 50 ans, ne font pratiquement pas l’objet d’un programme.

Des études montre que la détection chez le médecin est à améliorer. La tâche n’est pas simple car les patients, par peur ou par honte, ont de la peine à parler de leur état émotionnel. Ils se sentent mieux aidés et compris par les travailleurs sociaux et les soignants non-médecin. Une des études soulève la question des piètres qualités de communicateur des médecins. Cela vient de leur formation qui les enferme dans une pensée essentiellement causale. Pour y pallier, des formations postgrades et continues, qui intègrent la thématique du suicide et des tentatives de suicide dans la formation de base, sont  déjà mises sur place.

Le gros point faible est la recherche qui ne dispose pas de suffisamment d’argent et de temps. Des lacunes apparaissent également dans la collaboration interprofessionnelle. Il faut également créer et promouvoir des lieux de contact facilement accessibles, de manière anonyme. Les médias ont aussi un rôle à jouer, en étant attentifs à ne pas produire des scoops réducteurs ou des comptes-rendus romancés sur les suicides.

Ce sont les constats de l’Office Fédéral de la Santé ainsi que des différentes associations et professionnels qui se battent pour que tous ces points s’améliorent.

A ce propos, voici deux des objectifs formulés pour la Suisse par la Société Suisse de Santé Publique (SSSP), :

– D’ici à 2020, le taux de suicide chez les adolescents aura diminué de moitié.

– D’ici à 2010, tous les médecins généralistes détecteront précocement les symptômes de troubles psychotiques et il existera une vaste structure d’intervention pour les jeunes présentant de tels troubles.

Concernant l’avenir, l’Office Fédéral de la Santé, dans un de ses rapports, nous informe d’une élévation du nombre des suicides chez les personnes âgées s’expliquant par le vieillissement de la population. Ce que ne nous dit pas l’Office Fédéral de la Santé, c’est que la remise en cause du système de retraite et la difficulté des travailleurs, rentrant de plus en plus tard sur le marché du travail, d’obtenir le taux d’annuité nécessaire pour toucher une retraite à plein régime, risquent d’augmenter le taux de suicide des seniors.   




Laurent Opoix

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