“Je suis venu chez vous pour vous faire chier”

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Récit de l'escapade en taxi de Laurent à Evian, en compagnie d'un couple de Suisses qui n'aiment visiblement pas la France

Désirant m’aérer l’esprit loin du tagada tsoin-tsoin badaboum ambiant de Lausanne, je décide de prendre la fuite en bateau pour me rendre de l’autre côté du lac, à Evian. De là, nous devons, ma copine et moi, encore prendre un bus pour Thonon. Nous l’attendons, mais les minutes défilent et toujours pas de bus à l’horizon ! Il a désormais dix minutes de retard, notre impatience est donc grandissante. Un autre couple à l’air d’attendre aussi. En échangeant quelques mots, nous apprenons qu’ils sont Lausannois. Le mari est âgé d’environ 75 ans, bien sapé. Avec ses lunettes fumées saumon (et non l’inverse…), il ressemble à Mister Magoo. Sa femme, style bourgeoise, en a trente de moins. Il nous dit « Bah c’est bien la France ça ! » Dans notre conversation, on s’étonne que le panneau indique les bus E, H, et J mais que l’horaire du bus qu’on doit prendre (E) n’y figure pas. Le senior Vaudois nous dit « Ça fait deux ans que je leur réclame l’horaire et toujours rien ! Ils me disent oui mais à cause du vandalisme… Du vandalisme pff ! Une vitre ça se change vite, non ! »

A ce moment, on se met d’accord avec le couple pour prendre un taxi avec eux et pour partager les frais. Sur ce, Mister Magoo s’éloigne et va se renseigner sur les tarifs à la station de taxis où attendent plusieurs chauffeurs. Là, sous conseil de sa femme, il précise qu’il est retraité, en espérant une petite réduction. Installé confortablement dans le taxi, je regarde défiler un bout de pays en silence. Soudain, le vieil homme assis à l’avant entame une conversation des plus préoccupantes avec le chauffeur.

Le Suisse, énervé d’avoir raté le bus :

– De toute façon avec tout ça on ne peut pas travailler avec vous les Français. Par contre, on peut travailler avec les Chinois, les Japonais et même avec les Boches !

– C’est marrant vous les Français vous roulez tous dans des bagnoles neuves. Je ne sais pas comment vous faites avec vos salaires de misère, vous devez magouiller avec les impôts un truc comme ça. Ou alors vous demandez un crédit puis vous en reprenez un autre pour le payer et vous ne remboursez pas.

– Moi je peux vous dire que je suis content d’être vieux, c’était une belle époque pas comme aujourd’hui.

Chauffeur, impassible :

– Maintenant il y a le Sida.

Le Suisse :

– Ce n’est pas ça. Aujourd’hui vous ne pouvez plus rien faire. Si vous faites l’amour dans une voiture, vous vous retrouvez avec les flics qui se branlent autour de la caisse…C’est plus possible ! De toute façon les jeunes aujourd’hui ils sont tous en dépression et comme les psychiatres sont plus fous qu’eux, ils en ressortent marteaux.

Vieux Suisse :

– Ah ces ronds-points c’est fou, il y en a partout ici. Remarquez en Suisse ça commence aussi. Et vlan ! On nous met des rond-points ! Tous ces rond-points et ces gendarmes couchés, ils font ça pour qu’on roule moins vite qu’on dépense moins d’essence ! Mais on n’y peut rien c’est l’Europe qui demande ça. Ah quelle belle connerie l’Europe, ici vous savez ce que c’est.

– Ca roule bien aujourd’hui hein ?

Chauffeur :

– Oui par contre hier j’étais à Genève c’était encombré.

La femme du Suisse :

– Ah oui Genève c’est toujours un calvaire pour y circuler.

Le Suisse :

– Oui d’ailleurs y’avait un bougnoule de Genève qui voulait faire creuser un Tunnel sous le lac.

Chauffeur :

– J’en ai entendu parler mais ça remonte à 20 ans non ?

Le Suisse :

– Vingt ans ! Oh plus de vingt, vingt-cinq ans au moins !

Chauffeur :

– Mais vous voulez dire que le projet venait d’un Arabe ?

Le Suisse, interloqué :

– Un quoi ? (un moment de réflexion) Ah bah oui d’un bougnoule quoi !

Le taxi ralenti et se trouve derrière un mini peloton de cyclistes.

Le Suisse :

– Regardez-moi cette bande de cons, ils font du sport, en s’aérant les poumons près des pots d’échappement. Vous remarquerez qu’ils ne vont jamais rouler en campagne. Non et vous savez pourquoi ? C’est pour montrer leurs cuissardes et tout le bel équipement et le beau maillot jaune qui va avec. Snif !! Respirez-moi cet air ! Faire du sport pour s’en mettre plein les poumons ! Mais oui tout ça c’est de la frime!

Le taxi arrive à Thonon et notre calvaire prend fin. Le compteur affiche 20 euros et 80 centimes. La femme helvète, qui voit pourtant le compteur, lui demande le prix. Le chauffeur répond 20 euros car c’est le prix qu’il avait annoncé à Evian. Voyant à qui il avait à faire, il a sûrement préféré s’en tenir à ce qu’il avait dit… peut-être pour éviter d’entendre qu’en plus les Français sont des arnaqueurs ! Le couple paie la moitié sans laisser un centime de pourboire alors qu’il nous a fait payer moins et qu’il a dû se taper les insalubrités sonores de pépé UDC.

A notre tour, nous payons la moitié et laissons le pourboire. Le couple infernal s’en va. Et le chauffeur nous dit : « Ah parce que vous n’êtes pas avec eux !? » Je lui réponds étonné « Ah non et je ne cautionne pas les propos du vieux Suisse, d’ailleurs j’ai la nationalité française. Je trouve que vous avez été sympa et calme avec lui » Le chauffeur me répond «Ce que vous ne savez pas c’est que lorsqu’il est venu se renseigner à la station, il nous a dit : ah vous les enculés de Français ! »

Je ressors de la voiture effaré par cette révélation. Dans d’autres régions de l’hexagone comme à Paris, le Vaudois serait reparti avec les dents dans sa poche. Il a encore le culot d’avoir de la chance ! A Thonon les chauffeurs sont zen. Dommage… Moi, je suis parti deux jours à Thonon pour me ressourcer.  Le vieux, lui, il aime pas la France mais il y va quand même ! Histoire d’aller faire un tour de l’autre côté du Lac pour déverser par litrons son trop plein de connerie…

Ça me fait penser à ce film de Bertrand Blier « Les côtelettes » dans lequel un vieux (Michel Bouquet) vient sonner chez une famille et dis à l’homme qui lui ouvre la porte (Philipe Noiret) « Je suis venu chez vous pour vous faire chier ! »

Laurent Opoix

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