Café Luna, jeudi soir, 19h30. Après ma discussion avec Johannes Stenberg, je suis curieux d’en apprendre plus sur le Club Suédois Lausanne-Genève. Alexander Elmér, responsable des membres et des annonces, m’accueille. Le Club inaugure son premier mingel, un after work de rencontre pour les Suédois et suédophiles de la région.
« C’est sûr qu’à sa création en 1962, le Club était fréquenté par les retraités aisés. Ils étaient encore plus discrets que la génération actuelle car ils n’étaient pas actifs dans la société », explique Alexander Elmér. Lui a très peu vécu en Suède : né d’un père suédois et d’une mère mexicaine, il arrive en Suisse à trois ans. À 44 ans, ce licencié en gestion s’occupe de la communication, avec l’envie de rajeunir l’image du club. « Je pense que c’est aussi une façon de retrouver mes racines ».
Outre les mingel, le Club organise différents évènements (fête nationale, Sainte-Lucie, fête des écrevisses), propose des visites d’entreprises et publie un journal. Le tout a pour ambition de créer du lien entre la communauté suédoise, sa culture et ses traditions. Alexander Elmér annonce fièrement les chiffres : « nous avons 550 membres, ce qui fait de nous l’association de Suédois expatriés la plus importante de Suisse ! »
Toujours des retraités ? « Non, plus uniquement. Mais disons qu’en règle générale, les Suédois présents en Suisse sont relativement aisés et d’un niveau de formation élevé. » Leur concentration dans les communes huppées de l’agglomération n’est pas anodine. À l’Eglise Suédoise, située à côté du parc du Milan, je rencontre pourtant une population bien différente : les Au pair. Tous les mardis, elles se rencontrent sous l’œil bienveillant de Marianne Carrupt et Ingrid Harling. Âgées de la vingtaine, parfois moins, elles perpétuent la tradition toute suédoise de marquer une pause d’un à deux ans entre les études secondaires et supérieures. Logées, nourries et payées, elles vivent dans une famille pour quelques mois en s’occupant des enfants en bas âge. Une manière pour elles de voyager, d’apprendre une autre langue et d’affiner leurs choix de vie.
Fait étonnant, elles sont souvent arrivées par hasard en Suisse : « je cherchais une famille francophone sur un site de filles au pair, et une famille suisse m’a contactée. Je n’avais même pas pensé à la Suisse comme pays francophone ! » confie Sara, 19 ans et originaire de Scanie.
Leur vécu à Lausanne est à chaque fois différent, mais leurs impressions se recoupent sur plusieurs points : elles trouvent les transports publics chers, elles apprécient le cadre naturel et déplorent la mauvaise connaissance de l’anglais des Suisses : « En rue, si tu ne parles pas français, les gens parviennent difficilement à t’aider. C’est frustrant ! », explique Anya, 20 ans. Sara apprécie, elle, l’ouverture des Suisses, à contre-courant des clichés habituels : « Ils sont chaleureux. Tu peux parler aux gens dans les bus. Si tu fais ça en Suède, on te regarde bizarre ! »
Marianne Carrupt sourit. Avec plus 45 ans passés en Suisse, elle connaît ces petits soucis et les appréhende avec philosophie. « La soirée du mardi permet aux filles de se livrer et de rencontrer d’autres filles dans leur situation. Cela nous permet aussi de les orienter et de trouver des solutions à leurs éventuels problèmes. »
Les études supérieures et les programmes d’échange constituent une autre porte d’entrée pour les Suédois en Suisse. Leur proportion est importante : à l’EPFL, pour l’année académique 2009-2010, les Suédois étaient le quatrième groupe d’étudiants d’échange, derrière l’Espagne, la France et l’Allemagne, et devant des pays comme l’Italie ou le Canada. Ils séjournent un semestre ou deux, puis repartent généralement en Suède. Ylva Bråsjö, elle, a décidé de rester. Arrivée de Stockholm il y a deux ans pour une année dans le cadre de son master en urbanisme, elle s’est plu en Suisse au point d’y prolonger son séjour. Elle a cherché un emploi et a trouvé récemment un poste au service d’urbanisme de la commune de Chavannes. « Pour moi, le grand attrait de la Suisse, c’est la montagne. Je voulais faire mon Erasmus à Grenoble ou à Lausanne pour la proximité des Alpes. » Dès qu’elle en a l’occasion, elle fait de l’escalade ou du ski de randonnée sur les hauteurs. À 26 ans, elle ne sait pas encore quand et si elle va rentrer en Suède : « Je voudrais en tout cas rester encore deux ans pour voir comment ça se passe et continuer à améliorer mon français. Après, on verra bien ce que la vie réserve ! » Stockholm ne lui manque pas trop pour l’instant : « Les gens y font trop attention aux apparences, on est classé en fonction de ses vêtements. Ce n’est pas le cas à Lausanne, j’ai carte blanche. »
Philippe Bron a le parcours inverse. Né en Suisse d’une mère suédoise, il parle français et n’a pas appris le suédois. Il a senti que cette racine manquante l’attirait et a décidé de partir en Suède en 2001, pendant ses études de médecine. Il a vécu un an à Lund, avant de revenir à Lausanne, puis est retourné s’installer en 2004, une fois ses études terminées. Aujourd’hui, il vit à Åhus, en Scanie, et nourrit une passion pour la voile. « La Suède est un pays incroyable pour cela, c’est l’endroit au monde avec le plus de bateaux à voile par mètre de côte », explique-t-il. Il perçoit les deux pays de manière complémentaire : « Je profite de l’été suédois, les soirées sont longues et lumineuses. En hiver, je prends des vacances en Suisse, je fais du ski et de la randonnée dans les Alpes. » Il gagne deux fois moins en Suède, mais il estime sa qualité de vie meilleure : « Mon travail ne me bouffe pas toute ma vie, j’ai des horaires corrects, je peux avoir du temps pour moi. Ce ne serait pas le cas en Suisse. » L’accès aux montagnes suisses se paierait donc en temps de travail et en qualité de vie…
À la lumière de ce dernier témoignage, qu’est-ce qui peut attirer les Suédois à Lausanne ? Outre les aspects financiers, la Suisse romande semble exercer sur eux un double attrait. Premièrement, elle demeure un pays assez ordré et propre, ce qui est également le cas de la Suède. Les Suisses sont en général d’une nature discrète et timide, traits qui rencontrent une certaine réserve suédoise. Deuxièmement, la langue française plaît aux Suédois. Nombreux sont ceux qui l’apprennent comme troisième langue ; l’une des destinations préférées des filles au pair est d’ailleurs le Sud de la France. Cette francophilie a des raisons historiques : la famille royale suédoise, les Bernadotte, est d’origine française. De manière surprenante, le suédois fait d’ailleurs de nombreux emprunts au français : restaurang, parfym, byrå, fåtölj, etc. Mais est-ce que les köttbullar ne leur manquent pas trop ici ? « L’épicerie d’IKEA est bien fournie », m’assure Marianne Carrupt.
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Etienne –
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