“J’ai une identité suisse sur une souche suédoise” – I

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Les Suédois à Lausanne sont à l'image de leur plus célèbre représentant : présents mais discrets. Reportage en deux parties sur une communauté aux multiples visages.

Raconter Lausanne et ses quartiers différemment. Dénicher les angles morts et donner la parole à ceux qu’on n’entend pas souvent. Le projet du Lausanne Bondy Blog est vaste et ambitieux. Pour porter ce regard différent sur la ville, pourquoi ne pas s’adresser à ses habitants étrangers ? De par leur origine, ils perçoivent Lausanne d’une manière particulière. Ils sont nombreux : 40 % de la population lausannoise en 2009, selon les chiffres de la Ville de Lausanne.

Les grandes communautés sont connues : les Portugais, les Français et les Italiens. Ils ont pignon sur rue avec leurs restaurants, leurs centres culturels, leurs associations, leurs épiceries spécialisées. D’autres groupes d’expatriés sont plus discrets. C’est le cas des Suédois.

Pourquoi un reportage sur cette communauté en particulier? Pour leur discrétion : intrigante, elle suscite la curiosité et donne envie d’en savoir plus. Saviez-vous que des entreprises suédoises mondialement connues comme IKEA et Tetra Pak ont leur fondateur ou leur siège social à Lausanne? À titre personnel, pour avoir vécu dans les deux pays, je trouve leurs ressemblances nombreuses et je suis curieux de découvrir le regard que portent les Suédois sur la Suisse.

Ils sont peu nombreux, mais constituent de loin la communauté scandinave la mieux représentée dans la région : en 2009, ils étaient 224 à être domiciliés sur la commune de Lausanne (moins d’1 % de la population), 658 dans l’agglomération. Ces chiffres semblent restrictifs. L’ambassade de Suède estime elle à 15 000 le nombre de ses ressortissants en Suisse, dont la moitié serait située dans l’arc lémanique. La population dans la région de Lausanne pourrait ainsi être d’un ou deux milliers de Suédois, en intégrant les personnes à double nationalité.

Outre Lausanne centre, ils sont concentrés dans les communes aisées des hauts de la ville (en particulier Epalinges, où réside Ingvar Kamprad, fondateur d’IKEA) et de l’est lausannois (Pully, Lutry). Ils sont par contre pratiquement absents des communes plus populaires de l’ouest lausannois.

Décidé d’en apprendre plus sur ces Suédois expatriés, je me rends à Montbenon, au consulat de Suède. Outre l’Ambassade à Berne, ce ne sont pas moins de six consulats suédois qui sont implantés dans les grandes villes de Suisse et au Liechtenstein (Lausanne, Genève, Zurich, Bâle, Lugano et Vaduz). Ils offrent des services variés aux expatriés suédois de la région : accueil et conseil pour les nouveaux arrivés, délivrance de passeport, vote, assistance lors des naissances, des mariages, des décès. Ils constituent également un relais vers les différentes associations suédoises en Suisse. Ces consulats sont dit « honoraires » ; ils ne reçoivent pas une couronne du gouvernement suédois. Ils sont financés exclusivement par des particuliers.

L’assistante administrative, Ulla Oscarsson, m’accueille et répond à mes questions. L’intérieur de la pièce ne laisse aucun doute sur l’identité du lieu : deux grands drapeaux bleus et jaunes fièrement dressés, les photos de leurs Majestés le Roi Carl XVI Gustaf et la Reine Silvia, un poster de la couronne et diverses brochures touristiques sur le pays plantent le décor. Ces quelques symboles ne sont pas sans rappeler les drapeaux helvétiques qui flottent dans les jardins autour de nous… Est-il facile de s’installer ici en tant que Suédois ? « Il y a 40 ans, c’était beaucoup plus difficile. Après 12 ans dans le canton, il était possible de faire une demande de nationalité suisse, en renonçant à la nationalité suédoise… Les frais de demande étaient très élevés » rappelle Ulla Oscarsson. Les obstacles professionnels étaient courants : « Un médecin ou un dentiste devaient refaire des examens pour valider leur diplôme, avant de pouvoir ouvrir leur propre cabinet. Un véritable service militaire ! »

Depuis l’adhésion de la Suisse aux accords de Schengen, fin 2008, la donne a largement changé : « Les démarches se sont facilitées et le nombre de Suédois installés ici est en augmentation. C’est visible dans les naissances : cette année, il y a un baby boom dans les familles suédoises en Suisse. Pourtant, toutes les expatriations ne sont pas définitives, comme le souligne Ulla Oscarsson : « Certaines familles s’implantent à vie ici, d’autres retournent après quelques années, notamment parfois à cause de la difficulté de s’intégrer. »

L’intégration, c’est l’un des sujets principaux que j’ai abordé avec Johannes Stenberg. Diplômé en langues et en droit, il a travaillé 19 ans pour Tetra Pak en parcourant le monde (Japon, Singapour,  Moyen Orient, Afrique de l’Ouest, Etats-Unis, Russie). En 1997, il rentre chez IKEA pour développer le marché russe et est devenu, depuis 2002, le bras droit d’Ingvar Kamprad. À bientôt 60 ans, ce polyglotte semble se sentir comme un poisson dans l’eau à Lausanne. Fasciné par la démocratie directe et le multiculturalisme helvétiques, il parle un français châtié. Seul un accent léger trahit son origine, un petit village du Småland. Cela fait maintenant 10 ans qu’il est naturalisé : « La procédure est longue, deux ans entre la première demande et l’examen. » Dans son cas, ce fut une formalité, tant il avait bien appris l’histoire suisse.

Aujourd’hui, il dit « nous » et « ici » quand il parle de la Suisse. À quel pays se sent-il appartenir ? « J’ai une identité suisse sur une souche suédoise », répond-il après une courte réflexion. Et de lier son ancrage lausannois avec la naissance de ses deux enfants : « Il y a quelque chose d’insaisissable qui se passe lors de ce grand moment. On rentre dans le CHUV à deux, on ressort à trois. Après ils grandissent, ils vont à l’école, rencontrent leurs amis. Tout un réseau se tisse autour d’eux. » Si bien qu’il avoue n’avoir jamais sérieusement envisagé de retourner vivre en Suède.

Pour lui, les deux pays ont beaucoup de points communs : ils sont de petite taille, fondent une bonne partie de leur économie sur l’exportation et ont été neutres pendant la guerre. Sur ce point, il observe pourtant une différence : « En Suède, la guerre reste un traumatisme. Certaines choses n’ont pas encore été réglées, comme les crimes contre les Juifs et les Baltes. La Suisse a pris les devants, notamment avec les travaux de la Commission Bergier. »

Est-ce qu’il fréquente beaucoup les Suédois de Lausanne ? « J’ai longtemps été impliqué dans l’Eglise Suédoise. Sa mission n’est pas uniquement religieuse, elle est plus large. Elle accueille par exemple les filles au pair qui débarquent en ville. » Il cite également d’autres associations : « Il y a SWEA, l’association des femmes suédoises à l’étranger, la Chambre de Commerce Suédoise, le cercle des hommes d’affaires suédois qui se réunit une fois par mois à Divonne, et aussi le Club Suédois. Ce dernier a souffert de sa réputation de club pour retraités suédois riches jouant au golf et au bridge… mais cela a beaucoup changé ! » Voilà qui n’est pas sans titiller ma curiosité…

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Etienne

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