Ingérence politique et justice vaudoise

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Quand la politique s'invite dans la sélection de nos magistrats supérieurs, les dérives ne sont jamais loin... Aperçu.

Bonjour. Bonjour et bienvenue dans le monde merveilleux de la justice vaudoise. Aujourd’hui, nous allons découvrir ensemble comment, même dans un canton aussi chou que le nôtre, la politique peut s’ingérer dans les décisions judiciaires et comment certains partis, comme… Boarf, disons l’UDC, pourraient profiter d’une règle constitutionnelle pour faire comprendre un peu mieux au justiciable ce que “sévérité” veut dire.

Tout commence avec  l’article 131 al. 3 de la Constitution vaudoise. Celui-ci nous apprend que le choix des candidats juges au Tribunal cantonal se fonde essentiellement sur leurs compétences et leur formation juridique. Autrement dit leur talent, ce qui est plutôt bon signe. N’est pas juge qui veut et une règle interdisant aux gros busards de le devenir est toujours la bienvenue. La suite de cet alinéa proclame en revanche la responsabilité du Grand Conseil de veiller à la représentation équitable des différentes sensibilités politiques. Comprendre: le luxe suprême, ce serait qu’on ait la même répartition au sein du Tribunal cantonal qu’au sein du Parlement. BOOM! “Pourquoi”, me demanderez-vous, “dans la mesure où la politique ne devrait avoir aucun impact sur une décision individuelle?” Eh bien je répondrai comme suit: “Bonjour. Bonjour et bienvenue dans les prémisses de l’ingérence politique dans l’organe judiciaire du canton.” Voilà pour la théorie constitutionnelle. Mais comment se passe la nomination d’un juge du Tribunal cantonal en pratique?

Le candidat, après avoir réagi à une annonce publiée dans la Feuille des Avis Officiels, se présente devant la Commission Juridique de présélection des candidats juges. Ici, et conformément à l’article constitutionnel, il sera dans un premier temps évalué sur base de ses compétences et son aptitude à être juge par un collège d’experts. Ces experts, uniquement présents pour ce test de compétences, lui permettent de passer (ou non en cas de gros busard) à l’étape suivante: l’examen de l’affiliation politique du candidat. Cette “règle politique” n’est présente, selon une source à l’Université de Lausanne, que dans le but de préserver la paix politique et donc de contenter les partis. Pour la commission de présélection, elle permet aussi de trancher entre deux candidats aux compétences égales au profit de celui qui serait issu d’un parti sous-représenté au Tribunal. Bien sûr, la responsabilité de présenter des candidats dignes de ce nom appartient aux partis et s’ils ne le font pas, la quarantaine de postes de magistrats au Trib’canto sera pourvue par des gens compétents indépendamment de leur sensibilité politique.

Alors ça a l’air super, la politique est au second plan, les décisions rendues sont justes et indépendantes et tout le monde est content. Tout le monde ou presque… En effet, certains partis, comme… Brrrroaf, allons-y pour l’UDC, ont toujours connu certains problèmes avec la première étape du recrutement, celle du candidat compétent. Croyez-le ou non, l’Union Démocratique du Centre a souvent eu des difficultés à présenter à la commission des candidats juristes valables aux postes de juges. Note personnelle: tiens… Le fait de s’être vu enseigné les libertés fondamentales, leur histoire et les batailles menées pour les obtenir empêcherait-il d’adhérer aux valeurs de certains partis (comme par exemple… Je crois qu’on s’est compris)? Enfin bref, le fait que ces partis n’arrivent qu’à dénicher des gros cakes qui ne passent pas le contrôle de qualité mène à une sous-représentation du parti au TC, ce qui est bien mais pas top. En effet, cet état de fait permet deux types de dérives auxquelles sont consacrés les deux prochains paragraphes. Malin, non?

En un, la sous-représentation d’un parti permet au candidat opportuniste disposant du talent et des compétences nécessaires de mettre toutes les chances de son côté en adhérant au parti en question. Ainsi, cette petite enflure s’assure une sorte de “voie royale” vers le job de juge cantonal dans la mesure où la commission “recherche”, en vertu du 131 al. 3 de la Constitution vaudoise, des juges d’obédience politique sous-représentée, ceci afin de recoller au tableau de la répartition parlementaire. Un candidat UDC aura donc la quasi-certitude d’être choisi. Pourquoi? Parce qu’il faut. Mais ne nous énervons pas, car finalement, ce profil ne constituant pas en soi une conviction politique profonde,  des conséquences sur l’application de la loi sont difficilement envisageables.

Ce qui fait un peu plus peur en revanche, c’est le deuxième type de dérives possibles. Donnons lui, si vous le voulez bien, le nom pompeux de “recrutement à des fins politiques”. Pour pallier son manque de représentants, le parti (der Partei), n’attend pas que se pointe l’opportuniste du paragraphe précédent, mais commence lui-même à chercher agressivement des candidats adhérant aux valeurs profondes et aux décisions politiques du parti (der Partei). La tendance actuelle serait, dans certains cantons suisse-allemands, à l’entretien “fouillé” de juristes afin de ne pas laisser passer les vrais. “Êtes-vous pour ou contre la construction de minarets en Suisse?” Pour, tu dégages. Contre, question suivante. “Êtes-vous en faveur des renvois automatiques de criminels étrangers?” Contre, tu dégages. Pour, tu commences à me plaire. Question suivante. Et ainsi de suite. Pour un domaine où la politique est censée passer au second plan, ça fait beaucoup d’efforts, semble-t-il. Des efforts pour trouver des perles. Et elles existent ces perles, de plus en plus. Elles existent déjà dans le berceau zürichois, bien sûr, mais très bientôt chez nous aussi. Avec la montée en puissance d’une UDC décomplexée, certains jeunes aux idées politiques pas piquées des bostriches ont déjà commencé leur formation de juristes. Et ceux-là, pas question de les adoucir en cours d’études, ils avaient déjà leur avis avant de commencer et ils savent déjà de quelle façon ils veulent révolutionner la justice. 

De là à dire qu’une génération de jeunes juges plus sévères est en train d’attendre patiemment que les places qui leur sont dues se libèrent enfin pour mettre un coup de collier à la justice vaudoise, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas, car ça ferait de moi un gros caca pessimiste et que je n’ai pas envie de faire du Zeitgeist. Et puis bon, connaissant certains partis (cf running gag depuis le début de l’article), ce serait vraiment une surprise… PAS.

Yann Marguet

  1. Avatar
    samuel
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     Au vu de la faible marge d’appréciation du juge en droit suisse, la sévérité est toute relative puisque elle est en général la conséquence d’une volonté de sévérité du législatif et si la loi prévoit une certaine égalité partisane au sein du pouvoir judiciaire c’est bien pour égaliser les voies interprétatives.
    De plus je crois que l’image du jeune loup juriste UDC qui se présente devant la commission juridique , certain d’avoir sa place, est erronée car on ne devient pas juge parce que juriste et UDC, le cursus honorum officieux est assez stricte. 
    Quant au terme d’ingérence il est assez inapproprié puisque un juge a de toute manière une opinion politique… 

    Je crois que la vague anti-UDC se trompe de plage à inonder. Pour contrer la confiance de plus en plus accordée à ce parti aux pratiques politiques pour le moins barbares il ne s’agit pas de s’attaquer aux faits et gestes de l’UDC jour après jour mais bien de comprendre leur succès et d’en tirer de vraies conséquences. 

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