“Il faut montrer patte blanche. Vous êtes la première de la journée”

Posté dans : Politique 3
Récit de mes deux mois d’immersion dans le quotidien d'un réquérant d'asile. Suite de l'enquête du côté du Service de la population.

Ah, le Service de la population de Lausanne (SPOP). Redouté par certains, critiqué par d’autres, le lieu est LE passage obligé pour les requérants. J’habite à côté mais voilà, jusqu’à ce mercredi 10 octobre, j’étais totalement ignorant du quotidien de ce service qui pourtant ne désemplit pas. Ma première visite au SPOP sera la première d’une longue série. Je viens soutenir Hassan* du Sénégal, qui vient effectuer son ultime interrogatoire. Le but ? Déterminer s’il n’a pas menti sur sa situation lors des interrogatoires précédents et savoir s’il est « renvoyable ou pas », selon un membre du personnel. A l’entrée du service, un membre de la sécurité me demande mes papiers. Surpris, je m’exécute et me risque à une petite blague douteuse : « C’est la gestapo ici !! » Un sourire en coin, le vigile me répond : « Il faut montrer patte blanche. Vous êtes la première de la journée. »

Hassan lui, attend patiemment son audition.  L’un des membres de l’association qui le soutient est présent lui aussi. Il rassure Hassan, mais à mon oreille, il me glisse qu’il n’a plus aucune chance.Venu pour l’épauler, je ne serai finalement pas admis dans la pièce. Je m’en retourne donc dans la salle d’attente où des scènes stupéfiantes m’attendent. Le hall est plein d’hommes, de femmes, de toute provenance, de tous âges. Ils viennent tous pour la même chose : prolongation de leur permis de séjour, demande d’information. J’observe l’ambiance.

Un jeune homme originaire de Lybie passe au guichet. Une lettre à la main, il se fait recevoir par une jeune apprentie. Il ne parle pas français et lui demande de traduire la lettre qu’il vient de recevoir du SPOP. Sans attendre, la demoiselle s’exécute : « Votre permis de travail n’est plus valable et votre permis de séjour aussi. Vous devez partir avant le 5 novembre. Ok ? Vous devez partir. » Dois-je rappeler que le jeune homme ne parle pas français ? Visiblement, son interlocutrice s’en est rendue compte un peu trop tard. Faute de traducteurs, elle recommence son speech en mimant : « Travailler, terminé. 5 novembre, avion (elle mime l’avion avec ses mains, tout en pointant son doigt sur le calendrier à la date du 5 novembre.) » Lui ne semble toujours pas comprendre ou ne pas réaliser. La scène qui se déroule dans la salle d’attente aux yeux et aux oreilles de tout le monde interpelle. Un compatriote prend le relais et lui explique. Le securitas qui parle un arabe approximatif s’en mêle aussi. Le jeune, lui, part. Le responsable de l’association tente de le faire venir aux réunions pour l’aider. Il déclinera l’offre et s’en ira dans la nature. Pour le jeune requérant, le coup est dure. Pour le SPOP, c’est un jour ordinaire. Un fonctionnaire du service me dira: « Vous savez, la situation est tellement explosive, on ne sait plus quoi faire. En leur coupant (aux requérants ndlr.) toutes les possibilités, on espère qu’ils partiront d’eux-mêmes ».   

Mehdi Atmani

*prénom fictif

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Mehdi

3 Responses

  1. Avatar
    Anonyme
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    Intéressant, mais je trouve l’article quelque peu orienté. C’est bien de plaindre les requérants, mais on se soucie peu du travail du Service de la population. Contrairement à vos propos, je ne pense pas que le SPOP est “la gestapo”. Ils font juste leur boulot et le font bien

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      sceptique
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      Vue la manière dont le fonctionnement du service est décrit, il y a de quoi se faire du soucis. Je trouve pour ma part que l’article est bon. Il met le doigt sur une politique d’asile qui laisse franchement à désirer. Je ne dis pas que le service fait du mauvais travail, mais annoncer franco, devant tout le monde qu’il faut dégager les lieux, c’est choquant. Requérants ou pas, ça reste des êtres humains. La méthode fait en tout cas froid dans le dos. Ce qui est sûre, c’est que l’on peut critiqué, on n’a peu de chances d’y être confronté. Bravo à l’auteur

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      resiste
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      Pour avoir plusieurs fois accompagné des requérants d’asile, je peux vous assurer que c’est loin d’être agréable. Il y a toutes sortes de manières de dire à quelqu’un qu’il doit quitter la Suisse. Par exemple, on le fait venir tous les 2 jours pour renouveler son aide d’urgence et on lui fait le même discours chaque fois. On lui dit qu’il n’a rien à faire chez nous, qu’on lui enverra la police, on en a même menacé une accompagnante. L’angoisse des requérants dans ces locaux est bien décrite par l’article, l’attente est insupportable.

      Il y a des employés corrects, il y en a d’humains, ils doivent appliquer les consignes, c’est à dire qu’ils expliquent à quel stade en est la situation de la personne, et il y en a de franchement détestables, méprisants, violents. Ceux que je plains, c’est ceux qui ne supportent pas ce travail mais n’ont pas d’autre possibilité.

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