Grisélidis Réal

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Portrait d'une péripatéticienne, écrivaine et militante.

« La prostitution est un Art, un Humanisme et une Science. Je l’ai dit et répété et le dirai et l’écrirai encore jusqu’à mon dernier souffle, en français, en anglais, en allemand, et même en italien et en espagnol s’il le faut. Aujourd’hui, avec le recul, je pense à ces trente ans de métier, celui de Prostituée, dite dans le beau langage “Courtisane” ou “Péripatéticienne”, avec infiniment de nostalgie et de reconnaissance. Mes enfants et moi avons pu manger à notre faim. Le corps humain habité de son âme est un instrument de musique, et la sexualité est son archet. Avec délicatesse et violence, il vibre, il atteint des sommets de volupté et d’extase. La seule Prostitution authentique est celle des grandes artistes techniciennes et perfectionnistes qui pratiquent cet artisanat particulier avec intelligence, respect, imagination, cœur, expérience et volontairement, par une sorte de vocation innée : de vraies professionnelles, conscientes de leur pouvoir et des limites de celui-ci, sachant se mettre dans la peau de l’autre, déceler son attente, son angoisse, son désir et comment l’en délivrer sans dommage pour elle, ni pour lui. »

Grisélidis est né à Lausanne, en 1929. Elle sort diplômée des Arts Décoratifs de Zurich en 1949. Elle mettra au monde quatre enfants, le dernier en 1959. Dans l’Allemagne d’après-guerre, afin de nourrir ses enfants, elle commence à se prostituer, en 1961. Elle y connaîtra les bordels lugubres, les soldats américains et la prison pour avoir vendu de la marijuana. Expulsée, comme un Rom, elle fait son retour en Suisse et tente de vivre de créations artistiques et de ses premiers écrits.

C’est à partir des années septante qu’elle entre en lutte. D’abord à Paris, avec d’autres putes, puis en République de Genève, à partir de l’année punk : septante-sept. Sa façon de voir son métier et son abnégation lui permettent de concrétiser son activité militante en fondant l’association Aspasie, toujours très active. Son but n’était pas de faire une apologie de la prostitution mais bien plutôt de permettre aux dames de la galanterie de pouvoir acquérir des droits et d’exercer dans la dignité, notamment pour que les culs bénis cessent de les juger et que la police trouve d’autres défouloirs, n’est-ce pas petit Nicolas ? 

Grisélidis tenait pour fondamental son rôle social à travers la prostitution. Savoir les gens heureux dans son lit pouvait la rendre elle-même heureuse. Ayant entendu et vu bien plus qu’un curé dans un confessionnal, on peut raisonnablement proclamer, qu’à l’instar de Terence, rien de ce qui est humain ne lui était étranger. D’ailleurs, conscientes de la misère sexuelle environnante, il faudrait plus les désigner, elle et ses consœurs, comme des travailleuses humanitaires tant elles soulagent les souffrances et les solitudes personnelles, comme ça, avec rien, juste avec elles-mêmes.

Sa vision du métier, outre son aspect social, semblait marquée par une forte volonté artistique et technique. On lui doit l’invention, entres autres, de savoir-faire aux noms charmeurs : “le coup du vampire” ou encore “les fourmis japonaises”. Elle se conduisait de manière originale avec ses clients, n’hésitant pas à les renvoyer à la maison avec des textes anarchistes ou à les engueuler si elle considérait qu’ils le méritaient.

En 2005, un cancer l’emporte, mais c’est en 2009 qu’on lui rendra un dernier hommage, en l’inhumant au Cimetière des Rois de Plainpalais. La présence de sa sépulture dans le Panthéon genevois était l’une de ses dernières volontés, pas pour qu’on se souvienne d’elle, mais bien pour que son combat perdure dans le temps et ne soit pas oublié. Que de discussions intéressantes elle doit avoir sur sa vie avec Piaget, Ansermet, Calvin, Hersch ou Borges !

Prostituée, peintre, écrivaine, anarchiste, révolutionnaire et tant d’autres encore, Grisélidis était ce qu’on appelle une personnalité. Pleine de grâce, elle a toujours parlé librement et sans détour de ses activités, que ce soit dans des conférences, dans des revues littéraires, ou via son roman autobiographique, le noir est une couleur. On l’a aussi vue dans le film Prostitution de Jean-François Davy, en 1976. Par la magie de youtube, voici ci-dessous deux extraits de sa prestation. Ecoutez là parler, regardez la danser. N’est-elle pas belle ? 

 

Loris

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