Georges, tu avais raison pour le parapluie

Georges, tu avais raison pour le parapluie

La pluie, c'est pas toujours très marrant. Ça peut agacer parfois, compromettre des projets en plein air aussi. Mais ça fait aussi pousser les fleurs. Et puis, il y a de ces fois où ça donne lieu à des rencontres, ça inspire, ça donne le sourire et ça laisse la parole au romantisme. Même devant Géopolis.
CC by Yoan

 

En arrivant ce matin-là, sous la pluie, à l’UNIL, je me fais la réflexion que personne n’a la galanterie de me proposer un bout de parapluie. Je galère avec mon écharpe, transformée pour l’occasion en capuchon improvisé et malheureusement peu étanche.

 

Monde individualiste et cruel. Plus du tout romantique pour un sou.

 

En sortant deux heures plus tard de Géopolis, toujours sous la pluie, toujours bougon (et en plus remontée par les propos académico-centrés de la profe), une magnifique perle m’interpelle. Je dois lui demander de répéter sa requête, car mes écouteurs font déjà leur travail de mise sous bulle de ma petite personne. Elle s’excuse de me déranger et me demande en s’adressant directement à mon âme, dans la langue de ceux qui se parlent vraiment, où se trouve la Banane (une de mes maisons du moment, justement).

 

Une peau dorée, des yeux bleu-lagon, une chevelure dense et frisée. Je me dis que la Nature fait des merveilles et que j’ai de la chance de pouvoir en admirer l’une d’elle.

 

Je lui indique donc le chemin. Voyant que l’on se dirige toutes deux vers l’arrêt Mouline, et que ma capuche de fortune ressemble bientôt à une éponge, elle me propose avec une douceur enveloppante mais décidée ce fameux bout de parapluie. Je sens le haut de mon dos se dénouer, mon ventre se réchauffer, mes joues se teinter.

 

Tant désiré, ce coin de parapluie prend une forme magnifique et inattendue.

 

On échange quelques mots, je lui demande si elle est inscrite dans une faculté. Elle me répond qu’elle entre en Lettres l’année prochaine. Je l’imagine en poétesse rebelle et mystique. Elle me questionne sur les cours que je suis, je lui parle du thème du matin : les mouvements sociaux. Elle ponctue d’un « Ça c’est intéressant, et c’est important d’en parler », tempéré et sincère, sans condescendance. Pas de ça ici, pas de ça maintenant. Je lui montre où elle pourrait bifurquer pour rejoindre l’Unithèque plus rapidement. Elle insiste pour m’accompagner jusqu’à l’arrêt de métro, pour que je sois à l’abri. Pour mon plus grand bonheur.

 

J’accepte avec plaisir, on échange un sourire, je la prends par le bras. Son charme solaire et brut me fait oublier la pluie. Et le dérèglement climatique. Et la crise en Syrie. Et Trump. Et la montée des inégalités. Tout.

 

On arrive sous l’abri, bien trop vite à mon goût. On se regarde, sans un mot. Je deviens à ce moment-là comme sourde aux manifestations sonores ambiantes. Nos regards entrent en résonance. Un fil d’énergies se tend entre nos deux êtres. On se sourit. On se souhaite une belle journée et on se dit au revoir. Elle marque un temps avant de commencer à s’éloigner, en reculant d’abord.

 

Tout se suspend.

 

Puis elle finit par se retourner, je ne la quitte pas des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse sous le passage sous voies. Je me sens privilégiée d’avoir vibré quelques instants à son bras, à l’abri des caprices du ciel. Si proches, sans se connaître, si spontanément. Facile de s’ancrer dans le moment présent lorsqu’il a ces yeux-là. Le romantisme et la galanterie ne sont pas morts, et ils peuvent même se targuer d’avoir pour eux une ambassadrice magnétique. Si elle avait attendu le métro avec moi, je lui aurais proposé un verre. La prochaine fois peut-être, si prochaine fois il y a.

 

Désormais, ma journée est réussie. Désormais, j’aime la pluie. Désormais, je pourrais me vanter d’avoir été invitée dans un petit coin de paradis.

 

CC by Yoan

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