EVM 02 : This is the end, beautiful friend.

EVM 02 : This is the end, beautiful friend.

Posté dans : Société 0
Est-ce la ville ou moi ? - vol. 02 : A Lausanne aussi c'était la Fin du monde vendredi passé ! Tom, lui, ne l'a pas vécu comme tout le monde et nous raconte ses angoisses de courtes durées et un anniversaire apocalyptique.

© Laura SquatIl y a pas mal de monde en bas. Ils marchent tous vers le haut. Vers la gare pour les provisions et vers le centre pour la frénésie. Leurs chaussures martèlent le bitume et chaque pas imprime son empreinte dans la peau de la ville, la change, la nourrit. Leurs rires résonnent contre les façades. Le bruit d’une bouteille contre un trottoir les arrête quelques instants, le temps pour celle-ci d’être ramassée et de continuer sa gigue entre les mains de sa propriétaire. Le groupe s’éloigne, alors qu’un autre tout aussi jovial fait son entrée à l’autre bout de la rue. Pris dans une discussion embrasée, ils s’échangent des gestes qui m’évoque la fois où…

« Tom. Tom ! Viens, on va apporter le gâteau. » Sandra m’appelle depuis le couloir. Petit moment de flottement. Mon cerveau intègre l’information et mes neurones prennent quelques secondes (plus que d’habitude, l’alcool n’aidant pas) à  repasser en mode social. Je redresse mon buste, referme la fenêtre et me dirige vers le salon. Mathilde fête ses 26 ans aujourd’hui et du haut de ce cinquième étage, le boucan de la fête ne semble gêner personne. Et puis de toute façon, c’est la fin du monde ce soir, alors… Un premier quart de siècle s’achève pour elle et le soleil ne se lèvera peut-être pas sur le deuxième. Bien sûr, personne n’y croit vraiment. Tout le monde sait que ce n’est qu’un cycle qui se termine et que des gars piercés en jupes ont écrit ça il y a plus de deux millénaires. Qu’est-ce que ça peut bien nous faire, à part nous donner une autre raison de faire la fête et d’oublier ?

Les lumières s’éteignent et le chant traditionnel s’élance timidement. Ses joues rougissent et ses mains se joignent sur sa bouche. Les voix gagnent de l’ampleur. Ses pupilles s’élargissent. Elle fixe le gâteau avant de se tourner vers l’assemblée. Ses dents crient de bonheur. Je vois son rouge à lèvres s’étirer lorsqu’elle se penche pour souffler ses bougies. Ses mains se rassemblent contre son corsage, contre son coeur, et étrangement je suis heureux pour elle. En toute franchise. Puis, elle se redresse. Ses yeux étincellent. Elle applaudit et essaie de dire merci. Son sourire ne veut pas la lâcher et je la trouve magnifique.

Le rituel continue. La crème et le biscuit sont coupés. Les parts passent de mains en mains et les fourchettes se réjouissent. Le contenu de mon assiette disparaît beaucoup trop vite. La musique reprend petit à petit ses droits. La soirée est loin d’être finie.

De retour à ma fenêtre, j’observe à nouveau la rue. Elle est redevenue calme, comme elle l’est la plupart du temps. Ma vision embrasse tout le bas de la ville jusqu’aux lumières d’Evian au loin et doucement se recentre sur ce trottoir qui quelques minutes plus tôt accueillait tant d’énergie. On pourrait croire que rien n’a vraiment bougé et pourtant ce bout de bitume n’est plus le même. Les pas qu’il a accueillis l’ont changé et ont fait de lui ce qu’il est désormais, comme le feront les prochains qui passeront par là.

Puis, ça me tombe dessus. Mon SIII annonce 23h57. Et si c’était vraiment la fin de notre monde ? Et si le soleil s’était couché ce soir pour ne plus jamais se relever ? Et si cette rue restait à jamais sans vie ? Et si ces putains de Mayas avaient raison ?  Pas de météorites, pas de virus zombie, pas d’holocauste nucléaire, juste la disparition de l’espèce humaine. Propre et nette. Comme par magie ! Et qu’arriverait-il à la ville ? Les lumières s’éteindraient d’elles-mêmes au bout de quelques jours. De vieux journaux danseraient au vent. Les voitures rouleraient toutes seules vers le lac et s’écraseraient contre le premier immeuble venu. Le train de 02h51 pour Genève hanterait pour toujours le tableau de la gare. La fontaine de la Riponne ne fonctionnerait que pour les pigeons. Les cloches de la Cathédrale ne sonneraient encore que quelques semaines avant que l’électricité ne s’épuise. Seuls les drapeaux du Grand-Pont continueraient leur valse, avant de s’effiler au rythme des intempéries.

Alors je pense aux gens. A ceux que je connais, à ceux que je ne connais pas, à ceux que j’aurais pu connaître. Et ça me rend triste. Je pense aussi à ceux qui sont là ce soir et à Mathilde bien-sûr. À sa robe dentelée de noir, à ses boucles-d’oreilles tintantes, à la fine fumée qui s’échappe des bougies à peine éteintes et qui s’emmêle dans ses cheveux cuivrés. Et je pense surtout à son sourire. La fin du monde ne pourra rien contre ça.

Personne ne m’appelle cette fois, mais je me retourne et éteins la lumière, laissant celle de la lune remplir la pièce. Le sourire qui s’affiche alors sur mon visage me surprend, mais pas assez pour ne pas s’accentuer lorsque je m’approche du salon.

L’horloge du couloir indique 00h02.

Photo © Laura Squat

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