
Pas question de rester dormir sur le canapé d’un inconnu qu’on aurait rencontré en soirée ou de se faire raccompagner en voiture avant le deuxième rencard (Nan mais t’es folle ? J’veux pas me faire violer moooâ !), mais on monte allègrement et en toute confiance dans la voiture du premier Uber qui passe par là sans se poser plus de questions que ça. Parce que, ben oui, c’est safe ! Et puis y’a un système d’étoiles, si le mec est un taré, ça doit bien se savoir… Argument qu’on répète en boucle à notre maman pour la rassurer, tant et si bien qu’on y croit dur comme fer nous-même. Le système des étoiles, on en est persuadé, c’est bien plus secure que les crédit ratings de Moody’s. Et même lorsque le chauffeur, une fois arrivé devant mon immeuble, me demande mon 07 avec insistance, je décline poliment sans prendre la peine de le signaler sur le site… Après tout, il ne m’a pas agressé, m’a ramené chez moi, et as lui-même mis 5 étoiles sur mon profil parce que « t’es mignonne toi, même si t’es un peu coincée »… Qu’ai-je donc à lui reprocher ?

Selon Bilan, c’est un phénomène de société… l’émergence d’une nouvelle forme d’économie ! En 1920, Henri Ford révolutionnait la production industrielle en construisant ses voitures à la chaîne, donnant ainsi l’occasion à chaque ouvrier de posséder sa propre Ford-T noire. En 2020, Apple révolutionne l’économie avec son Iphone et ses milliers d’applications. Désormais, on ne vend plus au peuple de l’exclusif mais on mise sur l’esprit de communauté. Qui veut désormais sa propre Ford-T noire ? Personne ! Le voisin a la même, alors autant partager.
Paradoxalement, on a par contre tous le même téléphone à la pomme… mais peu importe, pour le reste on privilégie l’échange et le partage. Non seulement on fait des économies, mais en plus on rencontre de nouvelles personnes et on élargit notre palette d’expériences un peu funky dont on ne manquera pas de se vanter lors de notre prochain brunch. Quant à savoir si le chauffeur de taxi réussira à payer son loyer à la fin du mois, ce n’est pas vraiment notre problème.

D’ailleurs pourquoi est-ce qu’on irait à l’hôtel comme n’importe quel touriste lambda alors qu’on peut louer un appart entier pour le même prix ? Et payer un guide alors qu’on peut visiter la ville avec des locaux ? Récemment, l’offre s’étend à toutes sortes de services, du babysitting au ménage en passant par la livraison de repas tout préparé à domicile… et ça fonctionne bien ! N’importe qui peut s’improviser cuistot, aubergiste, chauffeur de taxi et on adore ! C’est tout de même fou cette confiance aveugle dont on fait preuve dès lors qu’il s’agit d’adhérer à un concept en vogue. On ne doute pas de l’hygiène irréprochable dont le cuisinier amateur fera preuve lorsqu’il préparera notre poulet-curry, pas plus qu’on ne remet en doute l’état du véhicule de covoiturage qu’on a décidé d’emprunter pour se rendre à Zurich, ou qu’on se pose la question de savoir si le chauffeur Uber qui nous a ramené l’autre jour avait effectivement son permis de conduire… Quant à savoir si le petit studio loué à Londres respecte les normes incendies, on a d’autres chats à fouetter.

Lausanne n’échappe pas à la règle. Ici, comme partout, on peut se payer l’appart du voisin, la voiture du voisin, la place de parc du voisin, le jardin potager du voisin, le chat du voisin… et même : on peut aller manger chez le voisin, en sa compagnie ! C’est précisément le concept de « Surfing dinner » qui propose de partager un repas chez un hôte, avec quelques autres convives, contre rémunération. Ce n’est qu’un exemple parmi une multitude d’autres applications plus inventives les unes que les autres. Mais quitte à écrire une chronique sur le sujet, autant combiner ça avec une bonne bouffe entre inconnus…
Et pour ceux que le sujet intrigue :
Laisser un commentaire