Divagations vidéoludiques

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Petits égarements métaphysiques sur les chemins de l’un des possibles « pourquoi » de la censure qui tente de s’abattre sur le monde malveillant des jeux vidéo.

Alors que les débats sur la violence déployée dans les jeux vidéos font rage dans notre société, souvent menés par des ligues de parents bienveillants qui ne pensent qu’à protéger la santé mentale de leurs charmants bambins, il me paraît intéressant de se demander pourquoi les jeux vidéo génèrent une telle réaction. Évidemment la logique apparente des parents est tout à fait compréhensible : la violence c’est le mal, un enfant c’est innocent ; il ne faut pas souiller cette innocence. Dieu serait sûrement d’accord avec eux… Et c’est sûrement pourquoi je ne peux repousser cette envie malsaine de creuser un peu le sujet. C’est pourquoi, plutôt que de se laisser aller à une analyse socio-politique du problème, je vous propose ici une petite balade métaphysique au royaume de l’ère numérique sur les traces de ce mystérieux « pourquoi ».

Dans son « insoutenable légèreté de l’être », Milan Kundera nous proposait une approche ô combien intéressante de la notion de « Kitsch », celle-ci n’étant alors non plus une forme qui s’oppose à la créativité et l’art, elle devient l’idée qui s’acharne à masquer les aspects inacceptables de la réalité humaine. C’est en quelque sorte la tentative de se persuader, par le biais de quelques habiles subterfuges, que l’homme n’a pas été banni du Paradis. Comme le dis si bien Kundera, le Kitsch esthétique de l’homme est incompatible avec la merde, représentation ultime de l’imperfection de ce même homme, de sa non-divinité. Au paradis, les déjections intestinales n’existaient pas, pas plus que la violence et la barbarie, mais voilà, une fois la pomme croquée le pauvre Adam s’est retrouvé confronté à d’étranges gargouillis intestinaux qui ne laissaient rien présager de bon pour l’image alors si pure de l’enfant de Dieu.

Le rapport entre la pomme, les inacceptables excrétions, Adam et le goût prononcé de l’être humain pour la violence ? Il est simple : c’est la nostalgie du Paradis. Que se passe-t-il lorsqu’une gentille mère de famille s’aperçoit que son enfant de 14 ans passe des heures à hacher menu des hordes de méchants terroristes virtuels à coup de grenades à fragmentation et autres tronçonneuses-batteuses? Celle-ci est horrifiée, paniquée et s’insurge que son brave petit ait eu accès à une telle orgie de violence. Très bien, c’est normal, mais encore ? Et s’il y avait quelque chose d’autre, de bien plus gênant, qui vienne ébranler le Kitsch familiale de notre mère révoltée ? Car dans ce Kitsch-là, l’enfant est encore préservé des perversions de notre monde, il est le dernier représentant d’une réalité perdue. Et le problème en soi, ne pourrait-il pas être que cet enfant, dernier vestige qui permette aux parents de faire vibrer les cordes de leur nostalgie paradisiaque, AIME la violence ?

L’importance ne serait donc pas l’innocence de l’enfant, pour l’enfant, mais le capital de nostalgie qu’il représente pour les parents qui se délectaient jusqu’alors de l’observer gambader dans les vertes contrées de l’Eden, alors qu’eux s’en savent irrémédiablement bannis et peine affreusement à se débarrasser de cet affreux goût de pomme métaphorique qui leur souille le palais. Comment tolérer alors, que le dernier représentant de l’état de grâce de l’homme se délecte d’actes de barbaries, tout virtuels qu’ils soient ? Leur haine revancharde se tournerait donc vers ces infâmes créateurs de jeux vidéo, vils serpents de l’ère numérique, qui osent venir briser la cohérence du Kitsch familiale en leur jetant en pleine face cette réalité amère : leurs enfants ne veulent pas entendre parler du Paradis et passent leur temps à s’empiffrer de pommes virtuelles ; la nostalgie perd alors tout objet et l’adulte se retrouve confronté à la damnation éternelle de son rejeton. Aïe !

Imaginons toutefois que l’on soit capable de préserver nos enfants de ces pulsions perverses au travers de la censure, qu’adviendra-t-il quand nos petits anges prépubères se retrouveront confrontés à leur tour aux aspects si intolérables de la nature humaine (la violence et la défécation) ? Alors, ils rejoindront les rangs des nostalgiques et le cycle continuera. Et c’est peut-être ici que se terre la plus grande de nos peurs : si les dernières incarnations humaines de l’innocence disparaissent, que les enfants nous rejoignent en dehors d’Eden, rejetant ainsi de génération en génération l’idée même du Paradis dans l’oubli, bientôt aucune nostalgie ne sera plus possible et l’homme, dans son imperfection désormais flagrante, se verra condamné ad eternam à devoir subir ces inacceptables gargouillis intestinaux.

Conclusion ? Investissez dans le papier toilette et si vos gamins vous bassinent pour avoir des jeux vidéo, achetez-leur Tetris!

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Yann Schrag

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