Dire Stop au Sida en Afrique: se couper la verge, se faire une vierge ou rester vierge

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[01.12.08] Les ravages rapides du Sida en Afrique ont véhiculé d'incroyables fantasmes. Pourtant, ces "légendes" ne sortent pas tout droit de l'irrationnel, mais apparaissent plutôt comme des révélateurs de discriminations profondes. Le sida est devenu avant tout une histoire de fric et les alternatives préventives, proposées aux pays du Sud sans le sou, frôlent le foutage de gueule. Petit tour d'horizon de certains mythes, circulant dans les pays africains, autour de la prévention.


L’art de se couper la verge… 

Oubliez la capote, les gars! Un remède miracle contre le Sida débarque en Afrique : la mutilation du prépuce. Il y a trois ans, un chercheur à l’INSERM, Bertran Auvert, démontre que la transmission du sida peut être réduite de 50% grâce à la circoncision. Cette ablation partielle ou totale du prépuce permet d’enlever des cellules très perméables au virus et d’épaissir (de kératiniser) le gland. Dès lors, si on prend mille mâles, dont la moitié a subi cette excision de la verge et l’autre non, c’est un fait, au bout d’un an les circoncis sont moins infectés. Ce constat s’est ensuite propagé de bouches à oreilles, façon téléphone arabe, pour donner au final le message suivant : «Se protéger contre le VIH c’est recourir à la circoncision». Ainsi, en particulier au Kenya, au Botswana ou encore au Swaziland, des programmes de circoncision massive sont lancés. Quant au préservatif, dont l’efficacité est prouvée à quasiment 100%, il apparaît alors comme une méthode surannée.

Pourtant, quelques rares voix s’opposent à cette tendance, ou croyance, générale dont celle de Michel Garenne. Ce chercheur à l’Institut Pasteur et à l’Institut de recherche en développement a étudié, à long terme et à grande échelle, la propagation de la maladie chez les hommes circoncis ou non, dans plus de treize pays africains. Sa conclusion: la circoncision ne réduit pas les risques d’être contaminé. Si son résultat vient contrecarrer celui à court terme d’Auvert, ceci repose sur une histoire de probabilités. « Dans un rapport sexuel avec une personne infectée, un homme non circoncis a une chance sur mille d’être contaminé, tandis qu’un homme circoncis a une chance sur deux mille. En cas d’exposition régulière au cours des ans, cela prend plus de temps, mais l’homme circoncis est infecté de la même façon ». D’ailleurs certains pays africains, à l’instar du Lesotho, où plus de la moitié de la population est circoncise, les plus contaminés sont bel et bien les circoncis. Même si l’OMS et ONUSIDA reconnaissent que la circoncision « ne protège pas complètement du VIH », ils la considèrent comme un moyen supplémentaire important dans la réduction du risque de transmission du virus : en conséquence le message préventif est souvent brouillé.

La mutilation est moins efficace que la prévention, mais, dit-on, elle possède un avantage: elle est moins chère…

 …ou de se faire une vierge

Ce n’est pas nouveau, le commerce et le capital aujourd’hui se construisent aussi sur les maladies. Triste à dire, le Sida c’est une histoire de pèze. Il y a quelques années encore les compagnies pharmaceutiques internationales avaient du mal à baisser les prix et à se départir de leurs brevets; les trithérapies excessivement chères interdisaient alors aux Africains malades d’y avoir recours. Actuellement, une partie de la population africaine a accès au traitement du Sida, mais on constate que ce sont surtout les chefs de famille qui bénéficient des médicaments et des soins encore coûteux, au grand dam des femmes. Ces dernières sont sûrement les plus victimes, non seulement de la maladie et du non accès aux soins, mais aussi parfois de mythes farfelus et sexistes, inventés pour se persuader que le Sida peut être contré… même sans argent. Prenez le système patriarcal universel et mélangez-le avec la cherté des moyens de prévention et de traitement, vous obtiendrez, par exemple, la croyance sud africaine bien vivace qui raconte que des relations sexuelles avec une vierge guérissent ou immunisent contre le sida. Des viols sur des jeunes filles se sont alors faits plus fréquents dans ce pays, au point qu’on a constaté qu’une fillette de neuf mois a été abusée par six hommes âgés de 24 à 66 ans!


…Ou l’art de l’abstinence: quand la capote fait tout capoter

De plus en plus de circoncisions, parfois même de viols de femmes pucelles… mais quid alors de la capote? Il y a une bonne quinzaine d’années à Abidjan, de jeunes ados portaient des préservatifs pour se protéger du sida, mais en coupaient le bout pour permettre une éventuelle procréation. La prévention, qui peut se faire principalement (pour changer) s’il y a de l’argent, avait donc encore de la peine à s’imposer dans les années 90. Depuis, elle a fait du chemin, même s’il est encore parfois difficile de faire accepter le port du préservatif. Certains Africains (et même des non Africains) n’ont pas recours à la capote, persuadés qu’elle amoindrit le plaisir, « on ne mange pas une banane sans l’éplucher », dit-on d’ailleurs parfois au Sénégal. D’autres assimilent l’utilisation du préservatif à l’infidélité ou au libertinage. D’autres encore décident d’ignorer les Durex et autres génériques, pour la simple raison qu’ils ont “ honte ” de rentrer dans une pharmacie pour faire cet achat car cela revient à annoncer un acte sexuel dans un futur proche.

Non seulement le préservatif n’est pas toujours bien vu et encore tabou, mais son prix en Afrique, du moins au début, n’encourageait pas vraiment la population à y avoir recours. La gratuité des préservatifs apparaît alors comme THE solution. Seul hic, le latex gratis a parfois eu l’effet paradoxal, dans de nombreuses régions rurales africaines, de discréditer dans la conscience collective sa valeur et son efficacité. Le préservatif n’est donc pas toujours forcément plus utilisé s’il est offert. Et oui, pour une fois qu’on leur donne un moyen de prévention, sans attendre une somme exorbitante en retour, forcément la prudence est de mise.

La disparité de la prévention et de l’accessibilité aux soins vis-à-vis du VIH et du Sida ne se montre pas uniquement dans le rapport Nord-Sud ou dans la relation hommes-femmes, mais aussi entre villes et campagnes. Contrairement aux centres urbains, bon nombre de zones rurales africaines n’ont pas ou peu d’approvisionnement en préservatifs. L’abstinence devient alors LA solution prônée. D’ailleurs, j’ai pu le constater dans certains villages du Burkina Faso où il n’est pas rare de trouver, dans des salles de classe des écoles primaires, de grandes inscriptions disant: « Le seul bon moyen de lutter contre le Sida, c’est l’abstinence ».

Se mutiler, parfois violer ou encore lutter contre “un besoin naturel”, voilà quelques alternatives offertes ou construites dans l’espoir de lutter, à moindre coût, contre le sida. Elle n’est pas belle la prévention dans les pays pauvres?

Florence Métrailler


Florence

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