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A la veille de son retour en Suisse, un bloggueur expatrié revient sur l'année qu'il vient de passer à Madagascar.

Il y a un an de cela, je préparais mon voyage pour Madagascar. Outre les soucis de visa, de vaccins et autres tracas inhérents à un long séjour à l’étranger, de nombreuses autres questions se bousculaient déjà dans ma tête. Quelle sera ma vie là-bas ? Quelles seront les personnes que je rencontrerai et avec qui je partagerai mon quotidien ? Serai-je à la hauteur dans ma fonction d’enseignant de français ? A quoi ressemblera mon logement ? Quelle température fera-t-il ? La nourriture sera-t-elle à mon goût ? Je me plaisais alors à lire et à relire mon Guide du Routard, à consulter internet et à tracer l’itinéraire de mes futurs périples sur la Grande Île.

A cette époque, je me plaisais à citer Pierre Fillit qui dit que « partir, c’est quitter son cocon, ouvrir ses ailes et s’envoler. C’est s’apercevoir qu’on n’est pas les seuls sur la planète, qu’on ne sait pas tout comme on le pensait. On devient plus humble, plus tolérant, un peu plus intelligent ».

Un an après, alors que la date du retour en Suisse se rapproche de jour en jour, il est temps de tenter de répondre à quelques unes de ces questions. Suis-je devenu, à la manière de Pierre Fillit, plus humble, plus tolérant, un peu plus intelligent ? En toute sincérité, je n’en sais rien.

A vrai dire, mon logement manque quelque peu de confort (pour ne pas dire qu’il manque de toilettes), la nourriture locale n’est pas des plus savoureuses (lorsqu’elle n’est pas carrément dangereuse pour mon fragile tube digestif d’occidental) et le climat s’avère rigoureux (l’hiver austral faisant flirter la température avec les 0 degrés Celsius). La fonction d’enseignant n’est pas de tout repos (les effectifs pléthoriques et la disparité des niveaux de connaissance y étant peut-être pour quelque chose), tandis que les échanges interculturels demeurent parfois légèrement stériles du fait de la barrière linguistique.

Où en suis-je donc, après dix mois passés en terres malgaches ? Le bilan serait-il négatif ? Aurais-je mieux fait de rester en Suisse, à jouir du confort matériel, à me complaire dans la sécurité affective de mon réseau social, à manger du fromage et du chocolat achetés à la Migros ?

Je reviens mentalement sur l’année écoulée et tente de répondre à ces questions. Je pense alors au proviseur du lycée dans lequel je travaille, M. Faly, ainsi qu’à mes collègues, qui m’ont toujours ouvert leur porte et soutenu dans ma tâche. Je pense aux rires et à l’insouciance des enfants qui vous apostrophent dans la rue, leur candeur, leur naïveté, cette étincelle de vie qui scintille dans leurs yeux. Je pense à la curiosité affichée de mes chers élèves, leurs éclats de rire, leur simplicité, leur étonnement également, face à des théories grammaticales souvent obscures.

Plus largement, je songe à la population malgache dans son ensemble. Résignée face aux tribulations politiques des pouvoirs exécutifs successifs, accablée par les graves problèmes que connaît le pays, la population de la Grande Île n’en a pas pour autant perdu sa joie de vivre, son sourire et sa dignité. Face au Vazaha, à l’étranger, qui représente pourtant la richesse, l’aisance matériel et fait miroiter la possibilité d’une autre vie, les malgaches ne montrent le plus souvent ni hostilité ni convoitise, mais font au contraire preuve d’une infaillible hospitalité.

Aujourd’hui, alors que fais mes valises et nettoie mon logement en vue du départ, mes sentiments sont confus. A la joie et la réjouissance de retrouver mes amis et ma famille en Suisse, se disputent la tristesse et le regret de quitter ce pays dans lequel j’ai vu et vécu des choses que je ne saurais oublier. Je sors de chez moi et jette un dernier regard sur les rizières aux alentours, je bois un dernier café dans ma gargote habituelle et salue une dernière fois la vendeuse de vanille du coin de la rue. Je me rends au lycée dans lequel j’ai enseigné et visite une fois encore les salles de classe que j’ai arpentées de long en large en réclamant le silence, je contemple les tableaux noirs que j’ai maintes fois blanchis de craie, les vacillants bancs en bois sur lesquels s’entassaient mes trop nombreux élèves.

Ces images, gravées dans ma mémoire, me font prendre conscience de la chance que j’ai d’avoir pu vivre et travailler à Madagascar. Loin de mes référents sociaux et professionnels habituels, j’ai appris, au contact des Malgaches, à appréhender les choses sous un angle différent. J’ai appris à vivre dans une culture où le jour présent est plus important que le lendemain, où les relations interpersonnelles comptent plus que les rapports contractuels, où les hommes se définissent moins par le métier qu’ils exercent que par la place qu’ils occupent dans leur famille.

J’ai admiré les paysages grandioses des hautes terres et profité du climat tropical des côtes. J’ai contemplé le dur labeur des cultivateurs de riz, l’ingéniosité des piroguiers Vezos, l’habileté des artisans travaillant le bois, la pierre, le raphia ou la corne de zébu. J’ai humé mille odeurs, vu des animaux et des plantes uniques au monde, marché aussi bien dans les forêts humides que dans les déserts arides.

Surtout, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes formidables, qui m’ont montré que la simplicité du bonheur n’est pas inéluctablement déterminée par l’aisance matérielle ou la prospérité financière, mais bien plus par la conscience d’être entouré par les personnes que l’on aime et que l’on estime. Enfin, j’ai appris que la fin et les meilleurs moyens pour y parvenir n’étaient pas tout dans la vie, mais que les détours, les bavures dans la marge, les interactions sociales que d’aucuns considéreraient futiles et rédhibitoires, participaient paradoxalement à enrichir un espace social et une vie qui sans cela seraient, à l’instar de certaines de nos propres sociétés occidentales, privés de la fortune que représente la communauté des Hommes.

Au final, après mûre réflexion, le bilan s’avère plus que positif. Ces nombreuses expériences, ces nombreuses rencontres se mueront progressivement en ineffables souvenirs, tandis que les désagréments d’ordres matériel, digestif ou climatique seront relégués au rang d’amusantes anecdotes. Partir, c’est non seulement quitter son cocon, ouvrir ses ailes et s’envoler, comme le dit Pierre Fillit, mais c’est également atterrir dans un nouvel endroit, rencontrer de nouvelles personnes, recommencer, d’une certaine manière, sa propre vie. Sans avoir la prétention de devenir plus humble, plus tolérant, ni même plus intelligent, partir signifie surtout vouloir ressentir, dans sa multiple diversité, la vie toute entière.

Bien à vous.

TOUS LES POSTS DE FRANCIS A MADAGASCAR:

Un bloggueur civiliste à Madagascar (27.09.2009)

Premier jour (02.11.2009)

Un bloggeur civiliste à Madagascar – partie 2 (08.12.2009)

Religions et religiosité du peuple malgache (04.03.2010)

Un jour comme les autres (11.05.2010)

Francis

3 Responses

  1. Avatar
    Anonyme
    | Répondre

    Un article comme celui-ci me réconcilie avec le LBB. 
    Ce n’est pas une PAGE faite pour les NULS…
    Bravo et merci Francis. On en redemande!

  2. Avatar
    phileas
    | Répondre

    beau texte.

  3. Avatar
    romuald
    | Répondre

    Très belle aventure humaine.

    Le retour dans notre civilisation trépidante, stressée, fondée sur l’argent doit être rude….
    Et j’imagine ta mélancolie en repensant à toutes ces personnes avec qui tu as partagé autant de moments forts au cours de tous ces mois passés là-bas….

    Bravo en tout cas à cette série d’articles.

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