Déconfinement: le compte à rebours est lancé

Le 3 novembre dernier, à 17h, les cafés et restaurants devaient fermer leurs portes pour une durée d'un mois. Ce jour-là, j'ai rendu une dernière visite au IUM, l'un de mes cafés préférés, histoire de profiter de chaque minute de socialisation encore à disposition et de faire le plein de chaleur humaine avant la solitude qui s'annonçait. Trois semaines plus tard, j'en suis persuadé: les cafetières/ers et restauratrices/teurs méritent elles et eux aussi toute notre gratitude et nos applaudissements.

Mardi 3 novembre 2020, café IUM.

– Il fait cru ce matin. Vous ne trouvez pas ?
– Que oui ! répond Françoise faignant d’être traversée d’un frisson.
– Je vous le dis, cette année, l’hiver y va pas nous épargner. On va morfler.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça, Geneviève ?
– Ch’ais pas, je le sens.
– On viendra ici se réchauffer. Hein dis, Fred !

Fred, qui prépare mon café, gratifie les trois vigousses retraitées d’un large sourire. Comme tous les mardis, depuis que le Covid m’a contraint au télétravail, je suis venu travailler au IUM, l’un de mes cafés préférés de Lausanne. Attablé et connecté, j’aime alors prêter une oreille attentive – et, il faut le dire, curieuse – aux conversations et scènes de vie alentour. Celles-ci m’ont d’ailleurs récemment inspiré un article dans le LBB, paru cet été.

Ce matin, j’y suis arrivé de bonne heure. La fermeture des établissements est prévue pour 17h. Je vis seul, suis célibataire, travaille à distance : je compte bien profiter de chaque minute de socialisation qui s’offre encore à moi.

– Oui, venez seulement ici vous réchauffer quand il fera froid. Mais il faudra attendre décembre… répond Fred, en haussant les épaules.
– Comment ça, décembre ? demande Geneviève, incrédule.
– Je ferme à 17h aujourd’hui.
– Tu fermes plus tôt ?
– Non, non, c’est le confinement à nouveau, on ferme un mois.
– Un mois ?!

« Un mois… tu es optimiste… », soufflé-je en aparté à Fred, qui me répond d’une grimace qui semble dire à la fois « Ne parle pas de malheur ! » et « Laisse-moi me bercer d’illusions ».

– Décembre… Ah ben, il faudra patienter, alors, soupire Geneviève.

Son regard perdu dans le vague me crève le cœur. Visiblement, elle est atteinte par la nouvelle, même si elle tente de donner le change. Et visiblement, je ne suis pas le seul à redouter la solitude qui s’annonce.

Le café se remplit rapidement aujourd’hui. Les clientes et clients n’ont qu’un mot à la bouche : « confinement ». Pour caser tout ce beau monde, Fred me propose de partager ma table ronde avec deux habitués. La conversation s’engage avec mes commensaux. Le premier est batteur dans un groupe de rock garage. « Evidemment, on n’a plus joué depuis un moment et c’est pas demain la veille… » Le second, un retraité sarcastique à la voix portante, ne cesse d’apostropher Fred et de le couvrir de brocards. « Un mois sans voir ta tronche, ça va nous faire des vacances ! »

Très vite, comme il est d’usage chez Fred, les langues se délient, les mots et les rires jaillissent des quatre coins de la pièce, bondissent de table en table. Chacune chacun y va de son commentaire et de sa blague.

Je me dis alors que l’essentiel est devant mes yeux : le partage, les échanges, les contacts humains ne sont pas les garants d’une vie heureuse. Ils sont la vie. Et avec le confinement, c’est un peu de nos vies qui s’éteint.

Je me dis aussi que les cafetières/iers et restauratrices/teurs méritent elles et eux aussi leurs applaudissements et toute notre gratitude. Des horaires difficiles, des tâches éreintantes pour un revenu irrégulier et parfois incertain.

Pourtant, comme m’explique Fred entre deux clients, les aides financières sont insuffisantes pour certains établissements. « Mon café fonctionne à petite échelle. Je touche des aides au pros rata de ce que je gagne habituellement, mais pas selon mes coûts (charge, loyer, etc.). Donc c’est chaud pour un restaurant qui vivote ou qui a des petites prix comme le mien. » Je m’étonne: est-ce vraiment ainsi que nous souhaitons traiter des établissements qui jouent un rôle social évident ?

Mon dîner terminé, je remercie Fred, souhaite plein de courage à lui, à mes commensaux et au reste de la clientèle encore présente. Je quitte IUM le cœur serré, traverse la Place du Tunnel, la Riponne et me dirige chez moi. Sur le chemin, j’observe la grisaille automnale qui semble vouloir résister aux rayons du soleil.

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