De l’autre rive, ce petit eldorado helvétique.

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Chaque jour, ils sont des centaines à traverser le Léman pour rejoindre leur lieu de travail. Une frontière à 30 minutes en bateau qui rapporte gros pour ces Français d’en face.

Devant les enseignes de la douane, la file s’allonge. Costard, attaché-case pour certains. Jeans baskets pour d’autres. Accoudés à un comptoir, deux hommes startent déjà l’apéro entourés de coucous miniatures et de portes-clés vaches de la boutique souvenir. Dans le haut-parleur, une voix annonce l’embarquement pour le bateau de 17h15 en direction d’Evian.

 

Dans ce quartier du sud de Lausanne, le décor rappelle les cartes postales pour touristes en mal de paradis. Ouchy et ses places nettes. Ouchy et son château aux lourdeurs de Disneyland. Ouchy et ce vaste lac encerclés de montagnes. A cette heure-ci pourtant, les touristes se font discrets. Quelques têtes blanches, sac à dos, patientent avec insouciance. Les voyageurs du moment, eux, sont les travailleurs de l’autre rive.

 

Français, ils sont près de 4000 à vivre dans le département de Haute-Savoie et à franchir la frontière vaudoise chaque jour. Dans l’industrie, le commerce ou l’immobilier, les frontaliers se fondent dans la masse des travailleurs suisses. Des quelques 12 kilomètres d’eau qui séparent les deux pays, les similitudes sont évidemment troublantes. Le côté suisse est peut-être plus plat et plus habité. La France, elle, se distingue en partie par ce Mont-Blanc qui trône par temps clair. Mais les frontaliers l’ont compris, la Suisse se différencie surtout par ses salaires avantageux… «Il faut être honnête. L’intérêt de base pour nous, c’est l’appât du gain», lance Claude, frontalier depuis vingt ans. Sur le bateau, la bétaillère comme il l’appelle, il a rejoint ses potes. Tous les matins à 5h40 et tous les soirs à 17h15, ils se retrouvent pour la traversée. Comme eux, d’autres groupes se forment rapidement dans la cabine centrale. Bières, jeux de cartes, ou manucure paraît-il, chacun y va de son activité.

 

Les cinq copains s’accordent tous. En face, c’est un eldorado. « Pour le même emploi, on gagne environ deux fois et demi le salaire français!» On cherchait le fossé entre les deux rives, on l’a trouvé. Pour eux, les avantages de la terra helvetica ne s’arrêtent pas là. «Les employeurs sont plus honnêtes qu’en France. Ici, une parole est une parole», précise Jean. A les écouter, aucun ne voudraient travailler à nouveau dans son pays. «Les Suisses sont aussi plus ouverts et plus sympas. Quand tu vas dans un commerce ou au bistrot, les gens ne tirent pas la gueule comme chez nous. Pis nous, on se sent pas étrangers en Suisse, nos pays sont si proches», poursuit Claude alors que les autres acquiescent. Pour le plus jeune du groupe, Stéphane, les sorties, les fringues, ou Ikea représente un plus. «Faut pas croire qu’on vient juste gagner de l’argent chez vous. On en dépense aussi…»

Aller jusqu’à habiter de l’autre côté? Non, ils n’y pensent pas. «Chez nous, on est presque tous propriétaire!» ajoute Claude, le sourire en coin. Les loyers exorbitants de Lausanne n’ont rien d’un paradis, c’est sûr. Et même si l’arrivée de l’Euro a diminué les écarts de niveau de vie entre les deux pays, l’accès à la propriété reste un rêve difficilement réalisable en Suisse. Alors chez eux, ils subissent parfois les jalousies de leur compatriotes. «Certains sont envieux car on gagne bien. Mais nous, on se lève très tôt et en moyenne on bosse environ une journée de plus par semaine qu’un travailleur français…»

Trente minutes seulement et ils ont maintenant rejoint leur terre. 450 passagers juste pour ce trajet. Les frontaliers des bureaux suivront dans le prochain bateau. Le retour sur Lausanne, lui, se fait presque à vide. La rive d’en face est attractive….mais à ses heures. 

Pascale Burnier

2 Responses

  1. Avatar
    Anonyme
    | Répondre

    J’aime bien votre concept et le ton que vous employez. Bref, je suis impatiente de lire la suite!

  2. Avatar
    sam
    | Répondre

    Merci pour cette belle enquête! Continuez. Quel plaisir de redécouvrir de nouveaux aspects de la vie Lausannoise.

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