De gueules au chef d’argent : le blason de Lausanne

De gueules au chef d’argent : le blason de Lausanne

Cryptique et ennuyeuse au premier abord, l’héraldique, est moins complexe qu’il n’y paraît et peut même être ludique. Balade en ville à la découverte des armoiries de Lausanne et de leur évolution du XVe siècle à nos jours.

Tout commence par la vidéo d’une conférence TED, partagée par un ami sur Facebook, intitulée « Why city flags may be the worst-designed thing you’ve never noticed », ce qui donne en français : « Pourquoi le design des drapeaux municipaux est le pire design auquel vous n’avez jamais fait attention ». Roman Mars y fait part de son obsession pour la vexillologie – l’étude des drapeaux – et leur conception graphique. Une science spécifique, désuète, dont on caricature souvent les adeptes. Pourtant l’intérêt pour le sujet est contagieux : la vidéo filmée en mars 2015 comptabilise plus de 3’800’000 vues. Roman Mars introduit son sujet par ces mots : « Lorsque l’on décode le monde avec l’élément du design à l’esprit, le monde devient magique en quelque sorte. Au lieu de voir ce qui est cassé, on voit toutes les petites touches de génie sur lesquelles des designers anonymes ont transpiré pour rendre nos vies meilleures. C’est essentiellement ça, la définition du design : rendre la vie meilleure et offrir de la joie. » L’engouement m’atteint, j’ai moi aussi envie de décoder le monde et les symboles qui nous entourent. Je m’interroge : qu’en est-il de Lausanne ? La ville a-t-elle un signe distinctif ? Où le voit-on ?

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Eléments des armoiries.
Eléments des armoiries.

Les armoiries et les couleurs de Lausanne

Au Moyen Âge, dans toute l’Europe, un système cohérent d’identification se développe : l’héraldique. L’héraldique est une science, proche de la vexillologie, qui a pour objet l’étude des armoiries. Celles-ci peuvent se définir comme des emblèmes en couleurs, librement choisis et propres à un individu, à une famille ou à une collectivité toutes classes sociales confondues. Toutefois, tout le monde n’en porte pas nécessairement ! « C’est un peu comme la carte de visite aujourd’hui : chacun peut en posséder, mais tout le monde n’en possède pas. », résume Michel Pastoureau, dans son ouvrage Figures de l’héraldique.

Cette carte de visite, la ville de Lausanne la possède depuis le XVe siècle, d’après l’article intitulé « Les armoiries de Lausanne » paru dans la Feuille d’Avis de Lausanne du 2 mai 1922. Grâce à un certain A. T., on apprend que les anciennes armoiries de l’évêché de Lausanne étaient telles que celles possédées par la ville aujourd’hui : de gueules au chef d’argent en héraldique, c’est-à-dire qu’une partie blanche occupe un tiers de la surface au-dessus d’une partie rouge. A la fin du régime épiscopal, ces armoiries furent délaissées au profit de l’écu aux deux ciboires qui était, en réalité, celui du chapitre et devient au XVIIe siècle le nouvel emblème de l’évêché. Pour A. T : « L’origine des armes de la Ville de Lausanne doit être cherchée dans les enseignes ou bannières des quatre quartiers de la ville, Cité, Palud, Pont, St-Laurent. » Il explique que lors de la fusion de la Cité avec la Ville basse, en 1481, on choisit pour armes de la nouvelle ville de Lausanne ce que les différentes bannières avaient en commun, c’est-à-dire le premier écu de l’évêque, de gueules au chef d’argent.

On en apprend plus à la lecture de deux articles parus successivement dans le Conteur vaudois. Le premier, signé Mérine, date du 16 août 1913 et est intitulé « Les armoiries et les couleurs de Lausanne ». Le second, paru le 30 août 1913, est une lettre de réponse adressée à Mérine, intitulée « Les armoiries et le drapeau de Lausanne » et signée Charles-Auguste Bugnion. Ce dernier vient corriger et compléter quelques propos de Mérine pourtant « sérieusement documenté ». En effet, Mérine indique d’une part les endroits où l’on peut voir les armoiries, d’autre part décrit les bannières des « cinq quartiers » de Lausanne : Cité, Palud, Pont, Saint-Laurent et Bourg.

Bannières des « cinq quartiers » de Lausanne.
Bannières des « cinq quartiers » de Lausanne.

Chercher les armoiries en ville devient alors un jeu. Une sorte de chasse au trésor. Où voit-on les armoiries ? Peut-on encore les voir aux endroits indiqués par Mérine ? Y a-t-il des traces des bannières des « cinq quartiers » ? Si je n’ai pu vérifier toutes les localisations que Mérine fait des armoiries, j’en ai trouvé d’autres.

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Où voir les armoiries de Lausanne ?

Commençons notre balade sur la place de la Palud. Sur la fontaine, on peut voir deux écus aux couleurs de Lausanne. Dans le forum de l’Hôtel-de-Ville, on trouve l’écu sur une pierre sculptée et datée de 1454. On voit également les armoiries de Lausanne au-dessus de la porte de l’Hôtel-de-Ville et les écus des quartiers à la clé de voûte des arcades. Ces écus sont également visibles au-dessus d’une autre porte qui donne sur la place de la Louve et sous l’avant-toit décoré du même bâtiment. A Ouchy, ils sont présents sur la fontaine qui se trouve juste à côté du Château. Passez le curseur sur les images pour voir les légendes. 

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Depuis la place de la Palud, empruntez les Escaliers du Marché. En haut de la première volée de marches, juste avant de traverser la rue Pierre-Viret et de continuer l’ascension vers la cathédrale, regardez à vos pieds. Vous pourrez voir les pavés peints qui forment l’écu du quartier de la Cité. Cet écu divisé verticalement en deux parties rappelle celui aux deux ciboires de l’évêché de Lausanne, choisi au XVIIe siècle.

Au-dessus du ou des écussons blancs et rouges peut s’ajouter l’aigle impérial bicéphale surmonté d’une couronne. Il marque le statut de Lausanne comme « ville impériale ». Cette disposition est visible dans le palais de Rumine, sur le sol entre le Musée cantonal des beaux-arts et la Bibliothèque cantonale et universitaire. L’écu a pour supports deux lions, ces animaux tiennent souvent l’un le sceptre et l’autre l’épée. Sortez du palais de Rumine et prenez un moment pour regarder la porte qui donne sur la place de la Riponne. Au-dessus de la porte se trouve l’écu, mais il est cette fois entouré de deux griffons. A ce sujet, Charles-Auguste Bugnion explique que : « L’architecte avait dessiné un écu vide accompagné de ces animaux anti-héraldiques, à titre de simple ornement. Plus tard on vint graver dans le dit écusson les émaux de Lausanne, ce qui est regrettable, puisqu’on a accrédité ainsi une version défigurée des armoiries de notre ville. »

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Le drapeau de Lausanne porte les mêmes couleurs que l’écu. A sa suite, sur le Grand-Pont, les bannières des quartiers flottent au vent.
Le drapeau de Lausanne porte les mêmes couleurs que l’écu. A sa suite, sur le Grand-Pont, les bannières des quartiers flottent au vent.

Si les deux lions sont, indéniablement, les supports de l’écu, la modernité tend à les effacer. Seul l’écu est employé pour l’application de la ville et sur le compte Twitter de cette dernière.

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L’héraldique : entre inventivité et tradition

Dans son ouvrage Figures de l’héraldique, Michel Pastoureau souligne que l’usage des armoiries n’est pas réservé à une classe sociale en particulier. « Chaque individu, chaque famille, chaque groupe ou collectivité a toujours et partout été libre d’adopter les armoiries de son choix et d’en faire l’usage privé qu’il lui plaisait, à la seule condition de ne pas usurper celles d’autrui. » Cette déclaration n’est pas sans rappeler un article de Slate, « Propriété intellectuelle : au Moyen Âge, des armoiries en open access » où les armoiries viennent mettre en perspective le libre accès un des grands enjeux du web : « Finalement, la question est la même pour un noble du XIVe siècle et un internaute aujourd’hui : peut-on se réapproprier librement toutes les images ? » Si la réappropriation est toujours une réinvention, jamais un pur plagiat, il est également, comme le souligne Pastoureau, impossible, lorsque l’on crée des armoiries, de vérifier si elles sont identiques à celles de quelqu’un d’autre. « Les seules vraies règles à respecter sont donc celles du blason » :

  • Les figures et les couleurs qui composent les armoiries prennent place dans un écu délimité par un périmètre dont la forme est indifférente.
  • A l’intérieur de l’écu, couleurs et figures obéissent à des règles de composition qui font la spécificité des armoiries européennes.
  • Il y a six couleurs réparties en deux groupes : les émaux et les métaux. La règle fondamentale de l’emploi des couleurs interdit de juxtaposer ou de superposer deux couleurs qui appartiennent au même groupe.
  • Les figures sont un répertoire ouvert : n’importe quel animal, végétal, objet ou forme géométrique peut devenir figure du blason.
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Les couleurs symboliques de l’héraldique.

Si l’envie vous prend de créer vos armoiries, gardez à l’esprit que le blason doit être harmonieux et facilement lisible afin d’être mémorisé rapidement. Comme le souligne Michel Pastoureau : « Créer des armoiries est un exercice à la fois rigoureux, instructif et ludique. Les règles du blason doivent être respectées, l’inventivité et la tradition doivent s’accorder, la sobriété et l’élégance doivent servir de guide et le plaisir, la jubilation même, doit être constamment présent. » Jubilation de la création, plaisir de savoir décoder le langage héraldique et de comprendre les symboles autours de soi, jeu de trouver « où sont les armoiries ? ». D’ailleurs, vous les avez peut-être aperçues vous même quelque fois. Faites-le-nous savoir !


Pastoureau Michel, Figures de l’héraldique, Paris, Gallimard, collection « Découvertes Gallimard », 1996.

5 Responses

  1. Avatar
    Mum48
    | Répondre

    Merci pour ce bel article fort bien documenté. A l’avenir, quand je baguenauderai dans Lausanne je serai attentive aux blasons.

  2. Avatar
    Daniel von Amann
    | Répondre

    Juste une petite rectification, la Lausanne d’avant 1536, début de la période Bernoise, porte des armoiries “coupé d’argent et de gueules”, ce sont les Bernois qui transformeront le coupé en chef pour signifier l’importance de la cité lacustre érigée en “capitale” du pays de Vaud Bernois à la place de Moudon. À noter que sous la période catholiques, le tenant des armes est un ange, les lions sont également du aux Bernois.

    Pour ce qui est de Pastoureau, il ne tient jamais compte des spécificités héraldique qui varient en lieux et dates. Son “code de juxtaposition des couleurs” ne vaut que pour le moyen-âge et principalement en France… il faut savoir que le noir (sable) est dans la tradition germanique, un émail ambigu, il est autant perçu comme émail que comme metal. Un écu d’azur au lion de sable n’est pas plus faux qu’un lion de pourpre sur champ d’argent, en Espagne, tout en sachant que dans la péninsule ibérique, le pourpre est considéré comme un métal et non un émail. Bref, l’héraldique est bien plus complexe et pluriel que ce que nous laisse voir Mr Pastoureau.

    Sinon, très bon poste et je vous invite a vous intéresser à cette “science” héraldique particulièrement abondante dans ce petit coin de monde qu’est la suisse.

    • Julie Collet
      Julie Collet
      | Répondre

      Bonjour Daniel,

      Merci pour votre commentaire qui vient apporter un bon complément à mon article. Votre remarque sur Pastoureau est également très pertinente et prouve bien qu’il est toujours utile, et nécessaire, de mettre en perspective les propos de ceux qui sont reconnus comme des experts dans leur domaine.

      Je suis ravie que cet article vous ait plu à vous qui semblez être un bon connaisseur de l’héraldique.

  3. Avatar
    bernard lattion/ huguette Blondin
    | Répondre

    Je ne peux trouver les armoiries de la famille métroz de Liddes

    Pouvez-vous m’aider

    Bernard Lattion du Québec

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