Confinement – déconfinement

Confinement – déconfinement

Chères lectrices, chers lecteurs, alors que l’annonce quotidienne des décès dus au Covid-19 résonne encore dans nos têtes, le temps est venu de retrouver un semblant de normalité. Ou pas. Disons tout du moins qu’il est temps de tirer un bilan de cette période inédite. Nous aussi, les rédactrices et rédacteurs du LBB, avons vu nos vies et nos habitudes chamboulées. Les mesures de semi-confinement, puis le déconfinement, ont suscité en nous des émotions et réactions diverses et soulevé des réflexions inattendues. Nous les partageons avec vous dans ce billet collectif quelque peu sombre, certes, mais surprenant à bien des égards. Belle lecture!

Brasserie de Saint-Laurent, bonne adresse en face de Manor.
Brasserie de Saint-Laurent, bonne adresse en face de Manor.
La coop dessous chez moi.
La coop dessous chez moi.

Malgré le confinement, malgré le déconfinement
Vous pouvez confinez autant que vous voulez, vous n’éteindrez jamais les instincts humains les plus puissants. Ainsi suis-je tombé amoureux d’une des caissières de la coop dessous chez moi. L’une de celles probablement appelées en renfort, souvent présente à l’entrée pour compter les personnes qui entrent et sortent du magasin, et vérifier le fidèle usage des désinfectants. J’ai été jusqu’à élaborer des scénarios pour tenter de l’aborder, j’ai même écrit quelques mots avec mon numéro, imaginant me faciliter ainsi la tâche. Mais je n’ai évidemment jamais osé.
Quant au déconfinement, et bien je suis partagé entre deux sentiments qui s’alternent. D’un côté il y a le bonheur de redécouvrir certaines libertés, tel un nouveau né : ma première coupe de cheveux, mes plaisirs gourmands une ou deux fois par semaine à la Brasserie de Saint-Laurent, pour le menu du jour, mon premier cinéma pour un film bof au Flon mais qui m’a fait plaisir quand même,… D’un autre côté il y a la frustration liées aux restrictions qui existent encore, aux plans d’em… oups, de protection, qui me semblent constituer une sorte d’imper qu’on mettrait après la tempête. Et un imper avec beaucoup de trous. Un exemple : l’attroupement très dense de p’tits jeunes devant le mad samedi soir quand je suis allé voir mon film. Alors que pathé a jugé utile de me priver de mon Ben’s & Jerry’s en cadenassant le frigo qui les contient. Lucien

A un clic du déconfinement.

Plaisirs coupables
Confinée entre mes 4 murs, j’ai appris à me connaître sans personne autour, sans personne à qui plaire/ déplaire, sans le besoin de porter les différents masques que je range chaque jour dans mon sac si besoins. Puis, toute cette routine matinale de vite enclencher la machine à café pendant qu’on prend sa douche pour vite le boire entre les différentes sessions de coiffure, maquillage et stylisme face à la glace ? Ce plaisir retrouvé de pouvoir se lever et déjeuner (le meilleur repas de la journée) tranquillement toujours en pyjama pendant qu’on allume tranquillement l’ordinateur professionnel. Plus besoin de courir car on va louper le transport ou être en retard quand on est à un “clic” du travail. 
Et pourtant, je culpabilise pour ces plaisirs retrouvés car je suis une privilégiée. Privilégiée de vivre dans un pays comme la Suisse, dans une ville comme Lausanne dont le confinement a été suggéré mais jamais obligatoire. J’ai pu continuer à travailler depuis la maison, je n’ai manqué de rien, mes proches vont bien alors que d’autres ont eu des décès, ont été malades, isolés, seuls. D’autres se sont retrouvé-e-s dans des situations très précaires, certain-e-s ont dû aller travailler la peur au ventre pendant que moi je profitais de mon déjeuner en pyjama. Oui, je les ai applaudi chaque soir à la fenêtre. Oui, on nous a dit qu’en restant à la maison on sauvait des vies. Et maintenant qu’on lève le confinement, que puis-je faire ? Aller au restaurant pour aider l’économie locale à reprendre ? Profiter de mes vacances en Suisse en guise de solidarité ? Est-ce suffisant ? Suis-je en train d’aider cette personne qui fait la queue pour un sac de nourriture ? Cette pandémie nous a fait réaliser à quel point tout notre système est fragile. On nous a mis sur pause des mois et maintenant qu’on ré-appuie sur “play” quelle suite du film voulons-nous vivre ? Leticia

Fenêtre sur cour.

Je continuerai de rêver, malgré tout
Je suis bien meilleure en Confinée qu’en Déconfinée. Ne pas avoir d’horaire, d’obligation quelconque, de rendez-vous. Une véritable libération pour moi. Du repos, du recul, du calme, du temps, de l’espace (interne). Tout ce qui semble cruellement manquer à mon quotidien en temps « normal ». Presque pas d’interférence, d’influence, de critique, de négativité. L’occasion toute trouvée de faire un grand tri – certes matériel, mais aussi dans mes valeurs, mes aspirations, mes relations. Je le savais déjà avant, mais ce temps hors de notre temps surchargé et mal investi m’a permis d’intégrer à quel point nous dysfonctionnons, à quel point je dysfonctionne. Autre chose est possible, accessible, à portée de main. Et là, de devoir tout recommencer, comme avant, et bien mon estomac se noue. Mes nuits sont désormais agitées et mes réveils plus angoissants. Alors qu’en temps de confinement, je dormais beaucoup, bien, me réveillais à mon rythme. Et je rêvais. Toutes les nuits. A ma grande surprise, très peu de cauchemars. Plutôt des rêves qui permettent de dénouer ce qui a besoin de l’être. De faire le point. D’inventer. D’explorer. Durant ces quelques semaines, j’ai pris le temps d’Être. Et non plus uniquement de faire. J’ai pu suivre un flux bien plus organique qu’à l’accoutumée. Et, maintenant que tout semble recommencer, que tout semble reprendre sa place d’avant, que les routes de Lausanne sont à nouveau engorgées de beaucoup, beaucoup trop de voitures, de bruit. Que les compagnies aériennes vont à nouveau recevoir bien plus de soutien que les salles de spectacle. Que la coopération suisse se privatise toujours plus au profit de multinationales qui ne savent déjà pas quoi faire de leurs milliards. Que les inégalités criantes que cette crise – qui devrait être transformée en opportunité – a permis de mettre sur le devant de la scène, se creusent encore et toujours. Je n’ai à ce jour qu’une envie : rester chez moi, et continuer de rêver. Manon

Une nature qui égare et confond.

Bulldozer
L’exercice est ardu. A l’heure de poser des mots sur mon expérience du confinement, l’esprit s’embrouille, les idées s’entremêlent, la vision déroute. Mes réflexions semblent sinuer autour de pensées qui fusent, contradictoires, incompatibles. Je suis incapable de dresser un bilan cohérent et ordonné du confinement et de mon vécu, ni même de poser un regard sage et serein sur celui-ci.
Je crois profondément que c’est le propre de tout événement hors norme de dépasser le saisissable et le sondable, de conserver, du moins à moyen terme, une part d’inconnu. Peut-être le recul m’offrira-t-il la perspective nécessaire. Ou, au contraire, les conséquences encore à venir, imprévisibles ou fabulées, entretiendront-elles mon état d’hébétude.
Manquer de recul complique l’exercice, certes. Mais c’est davantage la nature même de la période traversée, aussi inédite qu’inconstante, qui égare et confond. Je crois en effet avoir connu durant ces trois mois de semi-confinement un désordre, un tourbillon d’humeurs et d’états d’âme sans précédent. J’ai, les premières semaines, traversé des moments d’angoisse quasi paranoïaques entrecoupés, à intervalles irréguliers, d’instants d’espoir euphorisants. Puis, isolé à la montagne, loin des miens, proches des animaux, j’ai médité sur mon existence et ma place dans la société. Qu’il était alors aisé de porter un regard critique sur ma vie effrénée et celle des autres. J’allais tout changer, recommencer à zéro. Rien ne serait plus comme avant. En semi-autarcie au fond d’une vallée alpine, je me suis nourri des espoirs les plus fous : cet énième coup de semonce de la nature, nous allions enfin l’entendre. Quel sentiment de plénitude et de sérénité je connaissais alors soudainement, rassuré que j’étais de voir le monde écouter et comprendre enfin.
Mais tout cela n’était qu’innocentes illusions, vaines chimères, arrogantes créations de l’esprit, incapables de résister à ce qui, j’en suis persuadé à présent, caractérise l’être humain et atteste de son animalité : son implacable et égocentrique besoin de maintenant, de tout de suite. Au diable la planète, je veux mon drive-in. Au diable les océans, je veux mon Easyjet. Au diable les générations futures, je veux mon cash, mon business. Oublie la pandémie, satisfais-moi maintenant, j’ai assez attendu. Bulldozer inexorable et impitoyable, le besoin de satisfaction personnelle, rapace, vorace, fauche tout sur son passage, quitte à raser notre propre maison. Manu

Traîner avec le chat de l’immeuble.

Revoir la hiérarchie des priorités
La motivation des premiers jours en télétravail s’est vite estompée pour laisser place au réveil 5 min avant la séance téléphonique, au pyjama jusqu’à 12h et à un style oscillant entre décontracté et insortable. J’étais bien au chaud dans le cocon sécurisant de mon appartement. Protégée du virus et des agressions du monde extérieur. J’ai pu prendre la mesure de ce qui pesait dans le quotidien d’avant, écrasant, de ce stress dans les épaules qui s’installe au fil de la journée, de ce sentiment d’être broyé par la nécessité d’être le rouage hyperactif d’un système défaillant. Pourtant, paradoxalement, je fais partie des chanceux. De ceux qui n’ont eu qu’un léger recours au chômage partiel. De ceux qui ont pu tout aménager pour prendre le minimum de risque. De ceux qui ont vu les mesures prises par nos autorités comme une aubaine plutôt qu’un désastre. J’ai pu recréer du lien avec ma famille, avec mes amis. J’ai eu le sentiment diffus de ne plus être coupée de la vie autour de moi. Et j’ai pris conscience de combien cela m’avait manqué d’être absorbée par une seule tâche durant 10 min, 30 min, 1h ou plus. De ne pas être en permanence au contact d’un écran.
Tout s’apprête à reprendre au rythme d’avant, voire même en accéléré (il faut bien rattraper le retard économique, hop, hop, hop). Et après tant de distances, oui, j’ai soif de contact à moins de 2m avec les autres. J’ai besoin d’échanges, d’actions, de loisirs. Je suis soulagée que le virus s’estompe et sur le qui-vive qu’il revienne dès que l’on commencera à oublier. Mais, ce temps aménagé autrement, offert par des circonstances dramatiques, me pousse à revoir mes priorités. La crise n’est pas finie. On se déconfine, mais rien n’est plus comme avant. Et comme beaucoup d’autres, je ne veux pas que cela redevienne comme avant. Comment procéder? Il me faut agir vite, avant de sortir à nouveau lessivée de mes journées, avant d’oublier qu’une autre manière de faire est possible… pour le monde, pour la société et pour moi-même. Julie

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