Comment avons-nous vécu la grève des femmes* du 14 juin 2019 au LBB?

Comment avons-nous vécu la grève des femmes* du 14 juin 2019 au LBB?

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Tapies dans l’ombre pendant des siècles, sorties de leur silence en 1991 pour leur première grève nationale, les femmes de Suisse ont à nouveau battu le pavé le 14 juin 2019. Parce que oui, les droits qui sont censés être les leurs – égalité salariale et protection de leur intégrité physique en premier lieu – sont consacrés légalement, mais demeurent régulièrement bafoués factuellement. Comment avons-nous vécu cette journée historique au LBB? Voici nos différents ressentis.

La sororité à son paroxysme 

Le vendredi 14 juin 2019, à minuit pile, la toute première guette de l’histoire a annoncé l’heure.

Je me rappelle m’être rendue à l’une des premières réunions du Collectif vaudois pour une grève féministe, il y a un peu plus d’un an maintenant. Depuis ce moment, je n’ai cessé de me réjouir et d’attendre ce jour avec impatience. Et je n’ai de loin pas été déçue. Avec le recul, je réalise que j’étais à des millénaires de me rendre compte que ce qu’allait être cette journée. J’étais présente au pied de la Cathédrale lorsque la toute première guette de l’histoire a annoncé l’heure le vendredi 14 juin à minuit pile. L’effervescence par laquelle la foule rassemblée pour l’occasion a répondu m’a littéralement donné la chair de poule. Ça y est, la journée était lancée, mais pas seulement. C’est la suite de l’Histoire que nous commencions à écrire sur ce parvis. Différents slogans de la grève ont ensuite été scandés, avec vigueur et conviction. Mon expérience de la grève s’est poursuivie par la lecture de l’Appel sur la Place Sainte-Françoise, le vendredi matin à 11h. Nous étions 17 femmes*, debout devant une masse déjà largement teintée de ce violet désormais si représentatif et symbolique. Au fur et à mesure que les différents points étaient lus et largement applaudis par l’audience, j’ai vu des femmes* se prendre par la main, se prendre dans les bras, certaines laissant couler des larmes que j’ai interprétées comme des larmes de libération, de soulagement, de joie. J’ai vu tant de visages illuminés et déterminés, se tournant vers nous avec des sourires que je n’oublierai jamais. Le fait de dire et d’entendre ces revendications, nos revendications sur la place publique, au grand jour, leur donnait enfin tout l’espace et l’écho qu’elles méritent. Après avoir assisté à différentes prises de parole, toutes aussi puissantes et inspirantes les unes que les autres, voilà que le défilé a démarré. Cette marche tant attendue. Une marche toute de violet vêtue. Avec des femmes* de tous horizons, mais aussi des enfants, des hommes*, des jeunes, des moins jeunes. Impossible pour moi de ne pas me sentir grisée, portée, emportée par cet élan, cette puissance. Ce jour-là, nous (les femmes*) nous sommes prises par la main, pour ne plus jamais la lâcher. Ce jour-là, nous avons ouvert une voie qui ne se refermera plus. Ce jour-là, la sororité en Suisse a pris une ampleur qui durera pour toujours. Manon


Vivre un événement historique

Sur le terrain, place de la Planta à Sion, entourée de mes collègues ; Noémie Fournier et Agathe Seppey.

Le 14 juin 2019, je n’ai pas fait grève. Pas parce que je n’en avais pas envie, mais parce que je trouvais tout aussi important de couvrir cet événement appelé à faire date. Le 14 juin 2019, j’étais donc à mon travail au Nouvelliste à Sion afin de transmettre, notamment via une story Instagram, les différentes actions qui avaient lieu aux quatre coins du canton avant que la majorité des participantes ne convergent à Sion. Cette grève est arrivée sur la pointe des pieds dans ma vie. D’abord, c’était quelques articles signés par ma collègue Agathe Seppey, puis des postes Facebook ou Instagram de mes amies, copines, connaissances… Je suis partie en vacances puis revenue le mardi de la semaine du 14 juin. Là, j’ai vu mes amies s’organiser via Whatsapp pour créer des pancartes, pour trouver des slogans et des paillettes violettes. Quelque chose s’agitait. Ce vendredi matin, mes collègues m’ont relayé des photos de Monthey, Martigny, Sion et Sierre. Les femmes étaient là, leurs voix me parvenaient en écho. A Lausanne, mes amies paraient leurs joues de paillettes guerrières et leurs mains de pancartes: «Nos désirs font désordres», «Ras le viol», «La CUP est pleine», etc. Leurs copains et amis, hommes solidaires, se sont joints à elles avec «Boys can be more than just Boys», «Congé parental pour superwoman et superman». Le bruit s’amplifiait. A 15h, la place de la Planta, à Sion, bruissait pour mieux faire silence à 15h24, l’heure symbolique à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement. Puis, ce fut une grande clameur. Au micro, les discours qui se sont enchaînés nous ont rapprochées toutes, encore plus. A cette phrase «Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler.»  se sont succédé les slogans «Fières, vénères et pas prêtes de se taire» ; «So-so-so solidarité avec les femmes du monde entier». Sans que l’on ne comprenne vraiment comment le cortège s’est mis en marche, et soudain, c’était des milliers de femmes qui envahissaient les rues de la capitale du Valais. Du jamais vu! Le bruit résonnait tout autour de nous. Impossible à ignorer. Partout en Suisse, les voix des femmes se sont imposées ce jour-là. Aujourd’hui, elles enveloppent mon cœur d’un halo violet. Julie


Un documentaire sur l’évolution de la condition des femmes en Suisse

Les ours d’Appenzell Rhodes-Intérieures n’ont jamais accordé le droit de vote aux femmes… jusqu’à en être forcés par le Tribunal fédéral en 1990 !

Le 14 juin, je ne me suis pas habillé en violet ni n’ai pris une part active au cortège. Par contre, j’ai décidé, comme recommandé aux hommes par Thomas Wiesel dans sa publication Facebook ce jour-là, de fermer ma gueule, et de prendre un moment pour réfléchir et apprendre plein de choses sur l’évolution de la condition des femmes en Suisse lors du dernier siècle. Pour cela, je me suis aidé de l’excellent documentaire De la cuisine au Parlement (légalement disponible en streaming ici), qui était gratuitement diffusé à la cinémathèque à 18h30. J’ai ainsi pu me remémorer que le droit de vote, au niveau fédéral, n’a été accordé à ces dames qu’en 1971, et qu’au niveau cantonal, il a fallu attendre 1990 pour que le Tribunal Fédéral force Appenzell Rhodes-Intérieures à devenir le dernier canton à accorder ce droit. Bref, dans le petit cinématographe des sous-sols du casino de Montbenon, si on était un peu moins nombreux.se qu’à la manif (3, 4 à tout péter :-D), nous en sommes sorti.e.s plus compréhensif.ve.s envers les grévistes : de 1, la colère des femmes est tout naturellement encore là, parce que l’égalité en droit n’est apparue que récemment après des millénaires d’asservissement ; de 2, si l’égalité en droit est donc enfin établie dans la constitution Suisse depuis 1981, elle ne l’est pas encore dans toutes les mentalités, lesquelles évoluent plus lentement que le cadre légal, songez donc qu’un bon nombre des 34.3% gentlemen qui ont voté non en 1971 sont encore vivants aujourd’hui ; enfin, de 3, ce retard des mentalités assure évidemment un gouffre entre la théorie et la pratique.

Pour conclure, même si, en entrant et en sortant du casino, j’ai marché à l’écart de la grosse masse manifestante, les cris simultanés de dizaines de milliers de bouches féminines sont parvenus à mes oreilles… et j’en ai éprouvé des petits frissons ! Lucien


Une journée pour grandir

Le mouvement de la grève féministe a certainement marqué comme peu d’autres événements mes valeurs et ma conception de la vie et de la société. Je suis toutefois parti de loin. D’a priori négatifs, d’un mélange de méfiance et de scepticisme face à des revendications qui me semblaient radicales et injustes. «Certes, les femmes sont davantage victimes de discriminations et de violences. Mais pourquoi nous exclure, nous, les hommes? Et nos discriminations à nous?». Ces interrogations, je les ai partagées autour de moi, avec mes amies, avec mes collègues femmes. Elles ont amorcé de nombreuses discussions, parfois houleuses. Avec pour résultat, le sentiment d’être incompris, de ne pas comprendre et une susceptibilité partagée. J’ai donc un jour décidé de prendre du recul, de me désinvestir, jusqu’à me désolidariser du mouvement. Je peine après coup à identifier le moment, l’événement, la discussion-clé qui a provoqué le déclic, qui m’a finalement ouvert les yeux. Peut-être les explications patientes de ma voisine sur la non-mixité. Elle évoquait le festival afroféministe qui prévoyait des espaces réservés aux femmes noires: «Ces espaces permettent de libérer la parole, d’échanger entre personnes concernées par les mêmes problématiques et les mêmes tabous. Après on se retrouve ensemble.» Peut-être le témoignage de mon amie d’enfance, qui, trois jours avant la marche, me relatait au téléphone son expérience révélatrice de Nuit Debout, à Paris: «Manu, l’absence d’hommes durant les débats libère la parole des femmes, la mienne aussi. Je peux m’exprimer sans craindre d’être jugée ou incomprise. Avec mes amies turques, c’est pareil. On aborde des sujets qu’on n’aborderait pas avec d’autres personnes, même avec d’autres femmes. Avec la grève, il ne s’agit pas d’exclure les hommes, mais d’offrir aux femmes la liberté et l’inspiration qu’elles méritent, l’espace d’une seule journée.» Une seule journée… où les femmes sont aux premiers rangs, où leur parole compte plus que celle des hommes. Après et avant cette journée, c’est ma parole qu’on écoute. Parce que je suis un homme. J’ai donc pris part à la marche, en veillant à défiler en retrait, à me faire tout petit, comme on ne me l’a pas appris. Au feutre, j’ai dessiné une croix sur ma bouche: aujourd’hui, je me tais. J’ai admiré ému cette marée violette inspirante et débordante. J’ai vu ces visages libérés, ces regards que les adversités et les inégalités partagées rendent complices. Non, je n’ai pas tout compris, mais je crois avoir grandi. Manu


Suivre et relayer l’actu de la grève, à distance

Aperçu de la foule sur la Place Saint-François.

En tant qu’homme-hétéro, j’ai préféré, ce jour-là, me tenir à carreau. Notamment pour me plier au règlement affiché par le comité d’organisation de la grève du 14 juin. Celui-ci intimait les hommes cisgenres à s’effacer, ou tout du moins à se faire discrets, en signe de solidarité et de consentement à inverser les rôles entre les femmes et les hommes, le temps d’une journée. Dubitatif quant au réel bien-fondé de cette non-mixité revendiquée, mais globalement en phase avec la cause défendue, j’ai ainsi fait le choix de rester en retrait. Ma décision coïncidait d’ailleurs bien avec mon agenda: j’étais de service au Teletext ce jour-là et ai donc tout de même pu vivre et relayer, à distance, l’actualité de ladite grève. Lorsque je suis sorti du job, vers 16 heures, j’ai fait une brève intrusion, en catimini, sur la place Saint-François. Pour prendre le pouls de ce mouvement en pleine effervescence, et constater combien il était en train de prendre de l’ampleur. L’occasion aussi pour moi de découvrir la diversité et la créativité de certains slogans, brandis sur des pancartes. La plupart étaient subtils et hyper-pertinents («Ras le viol», «Partriachy is ovaires»), certains risibles mais un brin vulgaires («Nous aussi on a des poils au cul»), voire belliqueux («Mes meules dans ta gueule»). Je l’admets, je ne rejoins pas toutes les méthodes préconisées pour servir la cause de l’égalité femmes-hommes. Baptiser des édifices-quartiers-parcs nouvellement bâtis à l’effigie de femmes illustres me paraîtrait par exemple plus efficace et constructif que biffer des noms de rues masculins déjà existants, en rayant ainsi artificiellement de nos mémoires le reflet d’une réalité historique, aussi regrettable soit-elle. Pour autant les quelques bribes que j’ai pu vivre de cette incroyable ferveur du 14 juin m’ont ému et réjoui, et j’espère comme le titrait le Blick ce jour-là, que cette grève aura été la dernière: cela signifierait que tous les écarts profondément injustes entre les genres auront été comblés.

Car n’oublions jamais que l’égalité femmes-hommes est un devoir imposé à toutes et tous dans notre pays – celui-ci repose sur une base constitutionnelle actée en 1981. Gardons aussi à l’esprit que cette lutte doit faire bouger les lignes pour permettre à la société tout entière de se bonifier. Le rôle qu’y joue l’homme est à cet égard, lui aussi resté trop longtemps figé. Les interminables débats autour du congé paternité/paternel légal et les résistances tenaces que sa mise en place continuent de susciter, prouvent que la route est encore longue. Yoan

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