Coexistences – A la rencontre d’une association lausannoise qui créé des liens à travers les différences

Coexistences – A la rencontre d’une association lausannoise qui créé des liens à travers les différences

« On est toujours l’étranger de quelqu’un[1] ». Qui saurait être en désaccord avec cette citation de Tahar Ben Jelloun, écrivain, poète et peintre franco-marocain ? Quelles que soient nos origines, notre lieu de résidence, notre confession, nous sommes en effet toutes et tous l’autre de quelqu’un. Et pour vivre en harmonie, il est capital de faire vivre le dialogue en ayant conscience de cette altérité et en la respectant. C’est précisément cette idée qui a fait naître l’association lausannoise Coexistences en 2007, active dans l'aide au dialogue dans le conflit israélo-palestinien.
© Atelier K & Association Coexistences

Suite au bal de l’Orchestre Jaune du 12 janvier dernier[2], j’ai eu envie d’en savoir plus sur l’association Coexistences. En effet, ce bal d’hiver est organisé chaque année au profit de l’organisme lausannois et ce depuis de nombreuses années.

J’ai donc contacté la présidente, Madame Fiuna Seylan Ongen, afin de lui poser quelques questions sur l’histoire, les activités et l’actualité de Coexistences. Elle a gentiment accepté ma demande et nous nous sommes donc rencontrées tout récemment autour d’un thé.

LBB : Qu’est-ce que Coexistences et quelle est la mission menée?

Coexistences est une association lausannoise née d’une initiative citoyenne il y a bientôt 11 ans. La mission menée par cette association consiste en l’accueil de groupes mixtes – israélo-palestinien – qui ont besoin d’un environnement neutre et calme afin de dialoguer. La démarche «supportive» de Coexistences est d’offrir en Suisse un espace de dialogue hors du conflit, neutre et dynamique.

LBB : Comment l’association Coexistences a-t-elle vu le jour ?

Tout a commencé en août 2006, bien que la date officielle de création se situe bien en février 2007. Sylvie Berkowitsch, après avoir vécu dix ans à Lausanne où elle avait travaillé comme animatrice au centre de la communauté juive de la ville, décide de rentrer en Israël. Elle y devient directrice du département de la jeunesse YMCA[3] de Jérusalem, où elle mène notamment des facilitations de groupes. Un groupe de filles retient particulièrement son attention au cours de son travail. Elle a rapidement le souhait de les faire sortir du terrain de conflit afin d’encourager et de soutenir au mieux leur dialogue. Elle contacte alors plusieurs de ses amis habitant Lausanne pour leur demander de les accueillir une quinzaine de jours en Suisse. La réponse de ces derniers est unanimement positive : le premier projet de Coexistences est né. Le bouche-à-oreille fait ensuite le reste et d’autres familles se joignent rapidement au projet. Ce sont donc huit familles lausannoises qui accueillent seize jeunes filles.

Au lendemain du séjour, les familles se retrouvent dans un café suite aux au revoir avec le groupe. Et le constat est clair : il faut réitérer l’expérience avec d’autres groupes, ne pas s’arrêter là. C’est ainsi que l’association Coexistences a été créée.

© Atelier K & Association Coexistences

LBB : Comment sont articulés les séjours des groupes?

Chaque groupe est accueilli pour une durée de dix jours à Lausanne. Le séjour comporte toujours plusieurs jours à la montagne, avec peu d’intervenants extérieurs. Cette partie du séjour comporte toujours un passage de frontières, ce qui est très symbolique dans le cadre de cette démarche. Le groupe continue ainsi son travail de dialogue, initié sur le terrain depuis plusieurs mois déjà. Chaque groupe vient à Lausanne avec ses propres facilitateurs, qui sont toujours en duo binational (un israélien et un palestinien). Ainsi, la dynamique existante est conservée, soutenue et encouragée.

La suite du séjour se passe à Lausanne, dans les familles d’accueil. Les participants du groupe sont répartis par paires mixtes, à savoir un israélien et un palestinien dans chaque famille. Ils y partagent une même chambre et vont donc vivre une coexistence continue, 24h/24 et 7j/7.

Durant la partie lausannoise du séjour, la moitié de la journée est libre, en suivant leur dynamique de groupe, pour poursuivre le dialogue. L’autre moitié de la journée est utilisée afin de leur présenter différentes choses, via des excursions à Genève ou à Berne.

A Genève, des lieux à forte représentation symbolique sont visités, à savoir : le Musée de la Croix-Rouge, le Palais des Nations et la vieille ville.

A Berne, l’accent est mis sur le système suisse et ses spécificités, notamment avec la visite du Palais Fédéral. L’histoire du pays et des différents niveaux de pouvoir en place est alors abordée. Une présentation portant sur le système politique suisse et les institutions démocratiques suisses est proposée. La deuxième étape du programme bernois se fait à la Maison des religions.

Lors de ce séjour, l’Autre n’est plus entre eux, ce sont les Suisses qui deviennent alors cet Autre.

Coexistences mène entre deux et trois projets par année, ce qui représente l’accueil d’environ quarante-cinq personnes. Coexistences offre un lieu neutre, calme et propice aux échanges, afin de permettre des rencontres à échelle humaine. Hors de la zone de conflit, la création de liens est tout à fait différente dans ce type de contexte. Les groupes restent souvent en contact suite à leur venue en Suisse. Lors de ce séjour, l’Autre n’est plus entre eux, ce sont les Suisses qui deviennent alors cet Autre. Ainsi, ils se trouvent des points communs et lient un nouveau contact, à un autre niveau. Découvrir ensemble un pays étranger est une aventure humaine très forte. Le fait d’avoir un Autre commun lie les gens. Ces groupes de dialogue et ces séjours permettent aussi une humanisation de l’Autre, car la cohabitation sur place est très relative. L’ignorance de l’Autre contribue à l’éloignement. Les médias et les politiques alimentent la peur, creusent des fossés. A Lausanne, les participants issus des deux camps se retrouvent d’humain à humain, et partagent par exemple les histoires familiales des uns et des autres.

LBB : Quels sont les critères de création des groupes ?

Coexistences n’intervient pas directement dans la sélection des participants. Cela se fait sur le terrain, à travers un réseau de partenaires proches que l’association a développé au cours des années. Des liens de confiance solides sont établis avec des structures citoyennes sur place, et ce sont ces structures qui trouvent et choisissent les participants aux groupes de dialogue. On dénombre actuellement sur le terrain une centaine d’ONG actives dans le domaine de la construction de la paix. L’affaiblissement du Camp de la Paix en Israël fait naître énormément d’initiatives très locales de collaboration et de rencontres, qui partent de la société civile. Les gens se mobilisent car les institutions officielles n’obtiennent pas de résultats satisfaisants.

Les groupes de jeunes accueillis par Coexistences ont entre 16 et 17 ans, juste avant que le service militaire ne commence pour les jeunes israéliens.

En plus de groupes de jeunes, Coexistences a aussi accueilli des groupes inter-religieux ainsi qu’un groupe d’anciens combattants.

Coexistences a également accueilli à trois reprises des professeurs d’écoles primaires engagés dans un projet de jumelage entre écoles juives et écoles arabes chrétiennes dans le nord d’Israël. Les enfants concernés ont entre huit et dix ans. Lors de ces rencontres (qui ont lieu cinq fois par an), des thèmes tels que les traditions et la représentation de l’Autre sont abordés.

Enfin, il y a cinq ans, le YMCA de Jérusalem a fondé une chorale binationale. Cette chorale a été accueillie par Coexistences en 2017. Le même travail de dialogue qu’avec les autres groupes a été mené, avant que les chanteurs et chanteuses ne se produisent en concert à deux reprises : d’abord à l’ONU à Genève, puis à l’église St-Laurent à Lausanne.

LBB : Qui sont les gens qui font vivre Coexistences ?

© Atelier K & Association Coexistences

Coexistences est entièrement composée de bénévoles. Plusieurs instances forment l’association, à savoir : un comité, un groupe de communication, le groupe des familles, un groupe de recherche de fonds ainsi que les groupes de projets. Les groupes de travail d’accueil se créent le temps de la préparation et de la réalisation des séjours des groupes.

L’association compte environ 120 membres et 250 sympathisants. 40 personnes sont très actives et prennent part à l’organisation des projets ainsi qu’aux différents groupes de travail transversaux. Les groupes de projet commencent à travailler environ six mois avant l’arrivée du groupe. Ils suivent ensuite le groupe sur place, font un bilan au terme du séjour puis se dissolvent.

De nouveaux bénévoles sont recherchés de façon régulière. En ce moment, Coexistences recherche en particulier un ou des volontaires ayant des compétences dans le domaine des médias, de la communication et des relations presse[4].

Des familles d’accueil sont également toujours activement recherchées. Il s’agit d’une grande aventure, qui permet de se confronter à ses propres stéréotypes. On créé un espace, on accueille les participantes comme des membres de la famille. Le recrutement des familles se fait surtout par le bouche-à-oreille, en partant des membres et sympathisants existants.

Une question qui se pose régulièrement est de savoir comment passer le témoin aux générations futures. Depuis 2010, plusieurs des enfants des fondateurs (qui ont souvent le même âge que les participants des projets) accueillent pendant deux jours à Lausanne des participants afin de leurs permettre d’être entre jeunes et aussi pour leur montrer la ville sous un autre angle. Le renouvellement des membres apporte un sang neuf, un autre dynamisme. C’est toujours sain dans une association.

LBB : Y a-t-il des membres de Coexistences actifs sur le terrain ?

A part Sylvie Berkowitsch, aucun bénévole de Coexistences ne se trouve sur le terrain. Par contre, un vaste réseau d’associations locales partenaires s’est créé au fur et à mesure des années et des collaborations. Une expertise du terrain est tout à fait nécessaire dans ce cadre et seuls des organismes locaux le possèdent réellement.

LBB : Quel est selon vous un des événements marquants de l’histoire de Coexistences ?

Les 10 ans d’existence de Coexistences, qui ont été fêtés l’an dernier, sur le terrain. L’idée était de rassembler toutes les personnes ayant pris part aux projets depuis la création de l’association. Les facilitateurs des groupes passés voulaient rendre la pareille à Coexistences, en nous offrant à leur tour l’accueil dans leurs familles. L’événement s’est articulé autour de quatre groupes voyageant dans quatre régions: en Galilée, à Haïfa, à Jérusalem et dans les territoires occupés. Nous nous sommes ensuite tous retrouvés dans le désert, afin de clôturer cette fête tous ensemble.

LBB – Quelle est l’actualité de l’association ?

En juillet 2018, Coexistences accueillera un groupe de professeurs qui participent aux jumelages d’écoles dans le nord d’Israël.

Un nouveau partenariat avec un centre pour la non-violence – appelé Karama – est en train d’être finalisé. Il s’agit d’une initiative locale et citoyenne, partenaire de l’organisme Roots[5], basé en territoires occupés. Cette association fait se rencontrer des colons et des habitants de la région. Il y a notamment des groupes de femmes, des enfants et de jeunes adultes (16-17 ans). C’est lors de la fête des 10 ans de Coexistences qu’est née l’idée de faire venir le groupe de jeunes de Roots à Lausanne. Ce groupe se rencontre actuellement toutes les semaines durant trois heures. Ils échangent au sujet de leur religion, de leur quotidien, du conflit. Ils passeront aussi un weekend ensemble pour visiter des lieux importants pour les uns et pour les autres. Une trentaine de jeunes de ce groupe ainsi que quatre encadrants seront accueillis à Lausanne à la fin du mois d’août. D’anciens participants seront également invités comme facilitateurs.

Enfin, un trek autour du Mont Blanc entraînera un nouveau groupe mixte d’étudiants de l’Université de Haifa, en collaboration avec le centre culturel Beit Hagefen[6] début septembre.

LBB – En conclusion, une question qui pourra sans doute paraître un peu naïve mais, pensez-vous que ce conflit trouvera un jour une issue?

Oui. Une partie de la solution viendra invariablement de la société civile, bien que l’issue d’un conflit de ce type se fera bien entendu à plusieurs niveaux.


 

 

 


[1] Le Racisme expliqué à ma fille (1997) de Tahar Ben Jelloun

[2] Vous vous rappelez ? Je vous en parlais dans l’OCUB n°111 !

[3] Young Men’s Christian Association

[4] Contacts : http://coexistences.ch/contacts.html

[5] Plus d’infos : https://www.friendsofroots.net/

[6] https://www.beit-hagefen.com/?lang=2

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