CEVA, le train transfrontalier

Posté dans : Politique 0
Ce dimanche, c’est jour de votation. Sur les minarets bien sûr, mais pas seulement. Les genevois doivent se prononcer sur le budget du projet CEVA, une liaison ferroviaire entre la Suisse et la France. Enjeux.

Demain, toute la Confédération sera amenée à se prononcer sur des sujets sensibles : l’exportation du matériel de guerre et, surtout, l’initiative anti-minarets de l’UDC. Cette dernière a fait couler beaucoup d’encre, comme à chaque fois qu’il est question de religion et d’intégration de populations étrangères. Le Lausanne Bondy Blog a d’ailleurs consacré une semaine spéciale à ce thème, avec des articles donnant la parole au public et posant la question de l’identité suisse. Mais, dans l’ombre des minarets, une autre votation importante, cantonale celle-là, se profile chez nos voisins genevois. Elle porte sur l’obtention d’un financement supplémentaire pour réaliser le CEVA, un projet de liaison ferroviaire de 16 km entre le centre de Genève et la ville française d’Annemasse.

L’acronyme CEVA signifie «Cornavin Eaux-Vives Annemasse» et renvoie au tracé de cette ligne de chemin de fer, sensée relier la gare de Cornavin à Annemasse via les stations intermédiaires Lancy Pont-Rouge, Carouge-Bachet, Champel-Hôpital, Eaux-Vives et Chêne-Bourg. Grâce au CEVA, Cornavin serait à 20 minutes seulement d’Annemasse.

Le dossier est depuis longtemps dans les cartons, puisque déjà au 19ème siècle le raccordement entre Cornavin et les Eaux-Vives faisait partie d’un projet de liaison internationale entre Paris, Genève et l’Italie du Nord. Finalement, il fut évincé par la réalisation du tunnel du Simplon et la création de l’axe Paris-Milan passant par Lausanne. L’idée n’est pas abandonnée pour autant, et, en 1912, une convention est signée entre les CFF, la Confédération et le canton de Genève : des terrains sont réservés le long du tracé qui n’a plus changé depuis.

Cette convention n’a toutefois pas accéléré pas les choses. Seule une petite partie du parcours est réalisée, entre Cornavin et la gare de marchandises de la Praille. Il faut attendre la fin du siècle pour voir le dossier sérieusement remis sur la table. Pour une raison toute pragmatique : la convention de 1912 expire en 2012, après quoi l’argent de la Confédération sera beaucoup moins aisé à obtenir !

La votation de ce dimanche porte sur un crédit additionnel de 113 millions, voté en juin dernier par le Grand Conseil. Selon les autorités, le budget total ne devrait pas dépasser 1,47 milliard de francs. Sur cette somme, 57 %  seront à la charge de la Confédération et 43 % à celle du canton de Genève, soit 650 millions.

Cette rallonge permettra de financer des changements ordonnés par Berne, en particulier l’aménagement d’issues de secours supplémentaires. Leur nombre initial était en effet hors normes. Pour le reste, les maîtres d’œuvre ont apporté leurs propres modifications. La plus chère -43 millions- concerne l’adoption de méthodes de forage plus sûres sous Champel et au Bachet.

Le CEVA nécessitera également la mise en œuvre de nouvelles voies de chemin de fer, en grande partie souterraines, la réalisation d’une « voie verte » entre Eaux-Vives et Annemasse (comme pour le M2 lausannois entre les stations Délices et Ouchy) ainsi que la construction de nouvelles gares, dessinées par l’architecte français Jean Nouvel. Si les Genevois disent ‘oui’ au projet, les travaux pourraient commencer en 2010, et les premiers trains pourraient rouler en 2016.

La somme engagée semble colossale (le double du budget du M2 lausannois). Les retombées attendues seront-elles à la hauteur de l’investissement ? Certains en doutent. Le CEVA, aux yeux de ses détracteurs, ne serait qu’un gouffre financier. Ceux qui soutiennent le projet saluent quant à eux la nouvelle offre de transport public qui comble un trou dans le réseau. Une offre qui permettrait une meilleure desserte de différents points de la ville, à la fois pour les Genevois et les frontaliers. Seules 5 % des entrées et sorties de Genève à partir de la Haute-Savoie se font en transports publics : il y a donc là un réel enjeu.

Le CEVA devrait aussi permettre un développement urbanistique autour des nouvelles gares, pour maximiser la nouvelle accessibilité. Sur ce point, les projets concrets se font attendre. Il faut souligner que le territoire traversé par la nouvelle ligne est déjà fortement urbanisé et que les investisseurs hésitent peut-être à s’engager pour un projet qui a traîné si longtemps – ils attendront que les travaux soient définitivement confirmés.

Enfin, on peut espérer que le CEVA contribue à diminuer les nuisances automobiles à Genève, en termes de bruit et de qualité de l’air, en supposant que certains Genevois et frontaliers délaisseront leur voiture pour prendre le train. Mais selon Hanja Maksim, doctorante à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, rien n’est moins sûr :

« Genève est une ville qui a un rapport particulier à la voiture. De nombreuses villes européennes ont fait un aménagement du territoire dirigé exclusivement vers la voiture à partir des années 1950. Mais par la suite, elles ont réalisé les conséquences négatives de cette politique (congestion, pollution, etc.) et ont progressivement revu leur copie en redéveloppant les transports publics. À Genève, ce redéploiement a eu lieu, mais n’est pas allé véritablement à l’encontre de la voiture, il s’est développé en parallèle. La voiture est restée longtemps prioritaire, donnant l’impression de ne pas avoir osé froisser les automobilistes en diminuant l’accessibilité du centre-ville. » Et la sociologue de donner des exemples : « Le pont du Mont-Blanc, en plein centre-ville, est une autoroute à voitures, alors que les trams ne peuvent le franchir et doivent faire un détour considérable pour relier Cornavin à Rive ! » Même lors de l’organisation de l’Euro 2008, « Genève était la seule ville hôte en Suisse à offrir les parkings gratuits ! » Il ne faut pas se demander pourquoi le Salon de l’Auto y connaît un tel succès…

Cependant, les choses changent lentement : « Depuis quelques années, on voit des gestes forts de réinvestissement dans le bus et dans le tram. Et le CEVA s’inscrit dans ce mouvement. Mais cela se fait une nouvelle fois sans contraindre la voiture. Et peu de mesures semblent se dessiner en faveur de la réduction du trafic automobile. Finalement, le CEVA sera une offre supplémentaire de mobilité, malgré tout nécessaire, mais dont on peut questionner l’impact sur la réduction du nombre de voitures à Genève. » Un peu comme le M2 lausannois, très efficace mais qui ne porte pas globalement atteinte à la place de la voiture en centre-ville. Quand on voit le prix des deux projets, on peut avoir un goût de trop peu…

D’une manière générale, le CEVA est un projet ambitieux qui ne répond pas encore à de nombreux défis. La seule construction de la ligne n’est pas suffisante, et il faudra voir quelles mesures d’accompagnement (développement urbanistique et circulation de la voiture) seront mises en place pour juger de la réussite du projet. On peut déjà souligner qu’il s’agit d’un projet novateur par rapport à la trajectoire précédente de Genève en matière d’urbanisme. Bien sûr, Zurich et Berne font déjà du RER depuis des dizaines d’années, de même que Bâle fait depuis longtemps de l’aménagement du territoire transfrontalier.

Les Vaudois pourront rire de ce retard de leurs voisins, en pavanant avec leur M2 flambant neuf. Qu’ils n’oublient pas que le CEVA les concernent également, puisqu’ils auront un accès direct à toute une nouvelle partie de la métropole genevoise et pourront, par exemple, aller de Nyon aux Eaux-Vives en 30 minutes sans changer de train. Et, par ailleurs, ils peuvent se soucier de leur futur transport en commun en site propre (le fameux « M3 »), dont on ne sait toujours pas s’il sera un tram ou un métro… 

Articles similaires

Etienne

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.