CdL 69 – Désespérances dominicales

CdL 69 – Désespérances dominicales

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Les Chroniques de Lausanne - chapitre 69 : Où la situation actuelle ne convient pas du tout à l'un de nos protagonistes.

CdL69SunsetRésumé des épisodes précédents : Pendant que Max cherche à retrouver Sal, Emilien rentre chez lui et appréhende le lendemain.

Emilien poussa un petit soupir soulagé en fermant la porte de chez lui à clé. Pas mal, cette journée – et il ne pensait pas ça seulement pour la tarte. La désespérance dominicale – ce sentiment de tristesse infinie et de frustration complète à l’idée de recommencer le boulot le lendemain – n’avait pas encore changé son esprit en petite boule régressive incapable de penser à autre chose qu’aux séries télévisées et aux jeux vidéo. Ils s’étaient tous séparés sur le trottoir devant chez Ledrieu, distribuant bises et poignées de mains (ainsi que léchouilles, dans le cas de Loki), envahissant tout le trottoir devant le petit immeuble, un dimanche, qui s’en souciait ? Et puis Anne lui avait souri, et ils s’étaient séparés à Bel-Air, axe est-ouest, le centre contre son petit coin où Lausanne – du moins ses commerces – s’arrêtait presque. Il aurait sans doute pu faire une partie du chemin avec Max et Pascal, mais la situation ne s’était pas présentée. Il les avait imaginés, une rue plus haut tout au plus, accomplir le même trajet que lui avant de s’arrêter chez le vieil ami de Pascal, alors qu’il continuait vers l’avenue de France.

Machinalement, il alluma son ordinateur et jeta un coup d’œil à ses mails, un message de sa mère qui lui racontait les derniers drames familiaux. Il pensa à l’appeler : trop difficile, une autre fois, il avait des choses à penser. Pas de messages de Jean-Claude depuis la veille : « Tu me fais découvrir les charmes de Lausanne ? T’as pas des copines à me présenter ? ». Il allait probablement payer cher son silence poli durant la semaine : début des crampes du dimanche soir. Une douleur sourde dans les côtes, la marque des pompes en cuir, il avait gagné, le mec. Pourquoi il s’était obstiné à le démonter par la suite, Emilien ne comprenait pas. Il l’avait suivi jusqu’à Lausanne, même. L’interphone sonna, il hésita à répondre.

« C’est Sam, je peux monter ? », Emilien ouvrit immédiatement. Un ronronnement de l’ascenseur plus tard, son pote rentra sans frapper. « Yop, gros, ça va ? », sourire assuré et bise virile, Sam et sa splendeur occupaient plus d’espace dans n’importe quelle pièce que n’importe qui d’autre. Emilien décapsula deux bières, un peu de compagnie ne faisait pas de mal plutôt que de ressasser à quel point le lendemain serait minable.

« Je crois que Max te cherche, hasarda-t-il, pour ne pas brusquer Sam.
-C’est pour ça que je suis là, Sam pencha la tête, même son humilité était plus grande que nature. Je voulais m’excuser de m’être énervé.
-Ca arrive de péter un câble, mec, c’est pas grave.
-C’est juste que… Tu sais, des fois, Max, il a des idées mais il se fait avoir. Il t’a jamais raconté la fois où il a essayé d’aider un type qui dormait dans la rue, par moins quinze degrés ? Le gars a fini par lui prendre son pognon pour le taxi, et puis il l’a tabassé pour lui prendre le reste.
-Sérieux ?
-Sérieux, Max avait tellement insisté, que le mec a dû se dire que c’était un pigeon plein de thunes. Enfin suite à ça, Max est resté enfermé dans sa piaule pendant une semaine, il a tenu en régime Red Bull et pizzas pendant tout ce temps. Il a fallu que Hans lui démonte son alimentation de PC quand il était aux toilettes pour le convaincre de rejoindre le monde des vivants.
-Ca m’étonne que modérément, c’est un grand sensible, Max…
-M’en parle pas, mais tout ça pour dire : Imagine ce qui va se passer s’il retrouve ce tox, là ? Le mec va se barrer avec la télé ou je sais pas quoi, et Max, il va encore être tellement déçu…
-A propos de ça, on a trouvé une piste avec Anne.
-C’est pas vrai…
-Si, si. Un ami à Sal, qui habite pas loin de la Riponne. Max y est allé avec Pascal – ah ouais, toi tu connais pas Pascal… »

Alors qu’il racontait à Sam les événements de la journée, celui-ci semblait de plus en plus agité, son sourire, de plus en plus craquelé. Manifestement, son coup de sang n’était pas encore passé.

-Putain, je vais me retrouver à habiter avec ce type…
-Alors ça j’en sais rien, si ça se trouve ils vont pas le trouver.
-J’te jure, je vais déménager. Tout ça, c’est de la faute d’Anne.
-Attends, tu plaisantes, là ? Elle y est pour quoi, Anne ?

Sam baissa un regard noir sur le sol.

-Si elle connaissait pas tout Lausanne…
-Si elle connaissait pas tout Lausanne, Max aurait mis un peu plus de temps, mais il avait l’air d’y tenir, à le retrouver. Et puis si ça se trouve, ça va bien se passer.

Sam explosa :
-Mais non, ça va pas bien se passer ! Comment tu veux que ça se passe bien ? Et qui sera là pour rattraper après, hein ? Qui ?

Emilien leva les mains, calmement.
-Tu crois vraiment que ça vaut le coup de t’énerver comme ça ? Et puis tu m’emmerdes, un peu, à moi ça pose zéro problème, en fait, ton histoire. Tu veux pas plutôt en parler avec Max ? Tu sais qu’il te cherche probablement depuis qu’il est levé. C’est pas ici que t’as besoin d’être, mec, c’est en face de ton pote – et je te conseille de lui parler différemment, mec, parce que là tu veux rien dire.

Sam inspira brusquement :
-En fait toi tu t’en fous, maintenant qu’on s’est cassé le cul pour t’aider, t’en as rien à foutre de nous.

Emilien sentit la colère, rouge, noire, qui lui enflammait les côtes. Il se leva d’un bond, serra les poings et déclara d’une voix blanche :
-Tu dégages, Sam. Tu dégages d’ici. Elles m’amusent pas, tes petites crises mal placées.

Sam tourna les talons : « Putain de profiteur… »

Il sentit le claquement de la porte directement dans ses côtes, et s’affala sur le canapé. Putain de dimanche soir.

A suivre…

Photo CC : 2jaysjoju

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