Résumé des épisodes précédents : Alors qu’Emilien et Anne cherchent la trace de Sal, Max et Millia s’interrogent sur la macabre découverte de l’épisode 62.
Millia s’assit sur un tabouret de bar, s’accouda au comptoir et, soupirant, commença à se masser les tempes en silence. Max la connaissait suffisamment pour ne pas la déranger quand elle était dans cet état, sachant depuis bien longtemps qu’une réponse quelconque était hautement improbable. Il était donc allé s’asseoir devant sa console en attendant qu’elle trouve une solution.
Certes, ces derniers jours s’étaient plutôt bien passés, sa bisbille avec Max oubliée, Anne déménagée, avec un petit coup de sexe pour couronner le tout… elle aurait dû à cet instant précis nager dans le coton du soulagement, des béatitudes affectueuses, et de sa courte nuit. C’était pourtant pas compliqué, la vie : On essayait de se faire plaisir, de parler un maximum, et on n’avait jamais, jamais peur du futur. Elle avait passé sa vie à essayer d’exorciser la hantise du futur, chez elle mais surtout chez ses deux sœurs depuis la mort de leurs parents et – pour une raison qui lui échappait – chez Anne depuis sa rupture. Pourtant ça n’avait rien de compliqué : On ne pouvait avoir peur du passé puisque on y avait déjà survécu, et il ne servait à rien de craindre le futur, qui de toute façon serait vaguement décevant si on avait des attentes, et totalement absurde si on n’en avait pas. Elle avait donc passé la majeure partie de sa jeune vie à soupirer d’une déception légèrement agacée à tout ce qui lui semblait inutile, idiot ou contre-productif.
Et au moment même où elle aurait dû se dire « Profite, ma cocotte, pour l’instant c’est le pied », elle tombait sur un manteau couvert de sang dans le placard de son mec (et merde, ça devait pas être son mec tout de suite, sinon il allait prendre la grosse tête).
Max avait réagi comme à chaque fois qu’il voyait un truc qu’il ne voulait pas vraiment voir : un haussement d’épaules comme pour dire « c’est pas moi », et puis il avait remis le manteau à sa place en attendant de comprendre. Millia n’avait aucun doute sur le fait qu’il n’avait effectivement rien à voir avec ce manteau, elle ne connaissait personne de moins violent, mais éventuellement, peut-être, il aurait pu exprimer un peu plus de surprise ou de réactivité en découvrant, dans sa chambre, le manteau couvert de sang et remis tranquillement dans son armoire. Entre ça et son colloc’ disparu, il y avait, c’était évident, quelque chose de pourri au Royaume de Danemark. Mais quoi ? Ce sang, il était à qui ? Est-ce qu’il pouvait expliquer la disparition d’Hans ? Est-ce que le grand garçon, lors d’une de ses escapades antipub nocturnes, avait fait une mauvaise rencontre qui avait dérapé, avait paniqué et s’était enfui ? Mais pourquoi remettre le manteau dans le placard de Max ? Est-ce qu’elle était bien sûre que c’était lui qui l’avait rangé là ? Ni Max, ni Sam ne fermaient jamais leur porte à clé, n’importe qui aurait pu…
Le bruit d’une quelconque tuerie digitale la tira brutalement de ses hypothèses, une vague de migraine, une montée de bile…
« Tu penses pas qu’il faudrait qu’on fasse quelque chose ? », questionna-t-elle, d’un ton un peu plus brusque qu’elle l’aurait voulu. Max mit son jeu en pause, posa sa manette, et lui lança un regard contrit (et évidemment, perdu comme ça, il lui sembla encore plus adorable, ce qui ne l’aida pas exactement à se calmer, bien au contraire).
-Je sais pas…, admit Max.
-Ben tu sais pas, mais tu dois bien savoir un peu, non ?
-Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Ca faisait une éternité que je l’avais pas vu, ce manteau. Tiens, je me rappelle que je le trouvais plus le soir où on a ramassé Sal. Je voulais le mettre pour aller coller mes petites affiches. J’ai cherché vite fait, quoi, mais pas moyen de mettre la main dessus.
-Et après tu l’as oublié.
-Ben… oui.
-Et tu sais pas depuis quand tu l’as perdu.
-Ben non.
-Royal…
Le soupir, les tempes…
-Tu te rends un peu compte que c’est plutôt grave ?
-Mais oui.
-Et tu comptes faire quoi ?
-Je sais pas. Je demanderai à Sam, déjà.
-Oui, demande à Sam. Demande peut-être aussi à tes voisines qui débarquent ici à toute heure du jour ou de la nuit. Ou Emilien. Ou tout le staff du resto, en bas…
Max baissa la tête (bon Dieu, qu’elle aimait ce type).
-Tu sais comment c’est, ici. On laisse personne dans le froid si on peut éviter. En plus, Zelda adore jouer à Call of Duty quand elle s’ennuie. Et une semaine sur deux, Kevin oublie ses clés dans le resto et son père peut pas toujours venir le chercher.
Evidemment, il fallait qu’il prenne la défense du petit plongeur un peu lent à la détente. Immédiatement, sa colère diminua d’un cran. Ce n’était pas un hasard si elle était tombée amoureuse de Max : cette espèce de générosité à la limite de l’inconscience était si différente de tout ce qu’elle avait connu qu’elle l’avait trouvé, au début, tout simplement incompréhensible. Le pire, c’est qu’il n’y croyait pas, ne revendiquait pas son mode de vie. Il était ouvert par pragmatisme, considérant que si quelqu’un avait besoin de quelque chose qu’il possédait, la chose normale à faire était de lui donner – tout en étant convaincu que n’importe qui ferait la même chose pour lui. Le pire, c’est que ça marchait : Il vous déstabilisait tellement par sa naïveté que vous étiez obligé de devenir comme lui.
-Tu m’énerves, bouda-t-elle soudain. On peut pas discuter avec toi.
Max baissa les yeux, désolé. Elle leva d’une main son menton et l’embrassa doucement. Il se détendit un peu.
-Je sais bien qu’il faudrait faire quelque chose, mais je sais vraiment pas quoi. Sam m’a pas rappelé depuis hier soir, et je veux pas le stresser. Et puis les voisines doivent dormir…
-Et Emilien ?
Par un de ces hasards formidables (et commodes pour un auteur de fiction), le téléphone de Max se mit à ronronner à cet instant.
A suivre…
Photo CC : Stuart Crawford
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