CdL 63 : Anne aperçoit un indice

CdL 63 : Anne aperçoit un indice

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Les Chroniques de Lausanne - Chapitre 63 ; Où l'on se plonge dans les petits moments figés de la Riponne à la recherche de nos chers disparus.

cdl63-ghostRésumé des épisodes précédents : A la recherche d’indices pour retrouver Hans, l’ancien colloc de Sam et Max, ainsi que de Sal, Anne a amené Amandine et Emilien chez son prof d’Histoire (et ancien amant) Pascal, qui mitraille Lausanne de photos depuis des années…

Ca y était… Anne commençait sérieusement à péter un câble, pas moyen autrement, ça faisait déjà une heure qu’Emilien et elle farfouillaient dans les photos de Pascal, dont 58 minutes durant lesquelles son sourire avait décidé de répéter inlassablement « ohlala, qu’est-ce qu’on s’emmerde… ». Emilien avait bien tenté de lui décrire leur tox, et elle avait quelques fois vu la photo d’Hans, sur le frigo, et une autre de lui, Sam et Max en train de faire les cons sur un canapé dans ce que Millia aurait sans doute qualifié de « réjouissances inconsciemment homoérotiques », les trois mecs les uns sur les autres, un peu plus jeunes, peut-être, et sur le côté, une Zelda l’air comme d’habitude entre perdue et totalement présente.

Elles avaient l’air cool, ses nouvelles voisines, dans un genre particulièrement spécifique qui leur donnaient l’air de personnages de roman, avec leur statue païenne sur le pas de la porte et leurs looks totalement construit et malgré tout intégralement spontanés.

Un bruissement dans son oreille, Emilien venait de se saisir d’une nouvelle pile de photos. Comment il réussissait à se plonger photo après photo dans cette masse de visages, elle n’en avait pas la moindre idée. Elle bâilla, longuement, bruyamment, suffisamment pour réveiller Loki qui leva un œil vaguement intéressé dans sa direction avant de constater qu’elle n’avait pas de gâteau à lui offrir et que par conséquent il allait simplement se tourner un peu dans son vénérable panier et ronfler de plus belle.

Il lui fallait une pause ou, mieux, arrêter cette stupide quête qui ne l’avait intéressée que 3 minutes, et juste parce qu’il fallait bien sortir de l’appartement pour laisser une chance à Max et Millia de profiter d’un moment d’intimité pas facile à obtenir dans une colloc’. S’ils avaient pu progresser vite et bien, à la rigueur… Mais il fallait qu’elle se rende à l’évidence : Oui, ils trouveraient peut-être une trace de leurs disparus, encore faudrait-ils que ceux-ci veuillent bien réapparaître.

Elle tendit l’oreille : Pascal et Amandine parlaient bas, à la cuisine, et puis de temps en temps ils éclataient de rire avant de se reprendre. Elle n’avait qu’une envie, à ce moment précis : Retrouver les bras de Pascal, son haleine de tabac à pipe, ses étreintes toujours reconnaissantes, parfois un peu poussives mais toujours respectueuses, et les interminables conversations qui s’ensuivaient, sur l’état du monde, sur l’Histoire, sur ses aspirations de jeune femme et ses doutes de vieil homme.

Son sourire leva la tête : « Tu n’es qu’une péronnelle, ma fille, et Amandine n’a que 16 ans. », d’un ton certes compréhensif, mais non dénué d’une note de déception. Penaude, elle estima qu’il y avait de quoi être jalouse, quand même. Son sourire lui lança un « Oh please, darling. », avant d’être interrompu par Emilien : « Tu trouves ? Ca fait dix minutes que tu es sur la même photo. » Anne baissa les yeux sur la Riponne un après-midi passablement ensoleillé. Une femme qu’elle avait déjà aperçue plusieurs fois depuis le début de ses recherches, un visage sérieux où parfois perçait un petit sourire calme, dans un sens le matin, dans l’autre le soir : la kiosquière de la Riponne était d’une impressionnante régularité.

Emilien se leva et se positionna dans son dos. « C’est qui, ce type ? Ca fait plusieurs fois que je le vois. » Anne scruta, dans un coin, un homme d’une cinquantaine d’années, maigre, une vilaine peau grêlée, habillé d’un vieux costume, regard dans le vague.

Emilien se précipita sur sa chaise. « Attends… » Il farfouilla un moment dans une pile de photos, en sortit une dizaine. « Lui, il est tout le temps à la Riponne. Et regarde : Ici, on le voit avec un type en jogging. Ca pourrait être notre Sal. »

Anne acquiesça, elle avait déjà vu la grande silhouette et le costume, un peu partout, habitant ubiquitaire de la place, simple figurant dans le background des photos du lieu, mais ce n’était que depuis qu’Emilien avait attiré son attention sur lui qu’elle le voyait réellement. On le voyait debout, discutant avec d’autres fantômes, assis simplement sur un banc, un vieux livre de poche qu’il ne semblait lire que de loin dans les mains.

Anne se replongea dans les photos qu’elle avait déjà parcourues, l’homme était partout, une pièce de puzzle aux bords immédiatement reconnaissables, là parlant à une femme à l’âge indéfinissable, ici s’éloignant vers l’ouest, et puis… et puis ici, une photo datée d’il y a quelques mois : lui, debout face à un banc et en face, un jeune homme en jogging usé, les cheveux bouclés, le visage obscurci par l’ombre d’un pan du costume.

« Viens voir ! », intima-t-elle à Emilien, qui se leva immédiatement pour replacer sa tête juste au-dessus de son épaule.
« Bien joué, concéda Emilien. Je crois que tu as trouvé un de nos hommes mystères. Bon, évidemment, à moins de se repointer sur la Riponne et d’attendre de trouver notre type, et puis d’espérer qu’il connaisse vraiment Sal, et puis d’espérer qu’il sache où il est en ce moment, et puis d’espérer qu’il voudra bien nous le dire. Sans parler du fait qu’on n’a pas avancé d’un pouce sur Hans… »

Le sourire d’Anne cracha « Mais quel rabat-joie, ce type ! », et elle haussa simplement les épaules, suffisamment fort pour heurter malencontreusement son menton, faisant claquer ses dents. « Navrée, ne se désola-t-elle pas du tout, c’est probablement une punition divine pour ton manque de combativité, mon cher. » Emilien faisait la tête. Anne posa sa main sur son épaule. « On va aller demander un coup de main à Pascal. Il en connaît, du monde. Si ça se trouve, il sait, lui, qui est notre dandy. »
Elle l’entraîna vers la cuisine de son vieux prof, les photos à la main.

« … et ce n’est que lorsque les organisateurs du symposium sont venus me chercher au poste que j’ai appris que ce que j’avais pris pour un sachet de menthe fraîche était en réalité une brique de cocaïne d’extrêmement bonne qualité ! »

Amandine pouffa. Pascal, hilare, accueillit Anne d’un grand geste de bras. « Ah, Anne. Rentrez, mes enfants, rentrez. J’étais en train de tenter de dissuader votre jeune amie de jamais poursuivre une carrière académique. »

Anne lui lança son plus beau sourire, et lui tendit les photos.

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