CdL 54 : La théorie générale de la masculinité d’Amandine

CdL 54 : La théorie générale de la masculinité d’Amandine

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Les Chroniques de Lausanne - chapitre 54 : Où l'on compare les hommes aux machines.

IO2Anne chassa une mèche de cheveux d’un souffle rapide avant de s’asseoir sur le bord de son lit. Adossée au mur, Amandine, ses pouces virevoltant, fixait intensément l’écran de son téléphone qui sonnait de temps en temps. Le plus gros de ses affaires était rangé, plié,  emplacardé. Millia, en meilleure copine de première classe, lui avait même repassé quelques affaires de première nécessité, transportées en quarantaine dans sa petite valise pour éviter tout froissement. Une chouette odeur d’ail, de tomate, et de câpres s’échappait de la cuisine par moments, Emilien avait fait un saut à la Migros la plus proche pour leur faire « une gamelle de pâtes au thon de la mort qui tue », recette apparemment passée dans sa famille  de génération en génération depuis la nuit des temps (« quoique sans doute sous un nom plus distingué », avait avancé le sourire d’Anne).

Il avait donc mis la sono à fond dans le séjour, un petit hip-hop tranquille, et Anne l’avait laissé hochant la tête en touillant sa tambouille en rythme. Apparemment Emilien était suffisamment habitué de l’appart’ de la Rue de Bourg pour se servir sans aucune hésitation dans les placards, ce qui n’était pas pour déplaire à Anne, qui avait toujours préféré la consommation à l’élaboration. Millia et Max n’étaient toujours pas rentrés de leur conversation, mais Anne n’aurait su dire si c’était bon signe, et puis qu’est-ce qui était bon signe lorsque deux personnes pourtant adultes avaient soudain repris un contact qu’ils n’auraient jamais dû perdre ?

« Tu le connais bien, toi, Max, demanda-t-elle à Amandine, qui s’extirpa à regret de sa partie de Flappy Bird.
-Ouais, assez. C’est un cool, comme type… »
Elle reprit son téléphone.
« Mais genre, un cool comment ? »

Amandine soupira. Reposa le téléphone sur le lit. Fixa un long moment Anne qui lui souriait.

« OK, j’ai une théorie sur les mecs, tu veux l’entendre ?
Anne réprima un petit rire. Les théories d’Amandine étaient habituellement constituées d’un bric-à-brac de pop-psychologie, d’analogies geek pour le moins surprenantes, et habituellement d’une légère dose de mauvaise foi. Elle recula un peu, sur son lit pour s’adosser au mur.

-OK, alors prends n’importe quel mec, OK ? Le mec de base. (elle rentra la tête dans les épaules , élongea la mâchoire et écarta légèrement les bras, adoptant la posture du gorille moyen).
-OK.
-Bon, alors le mec en question, tu le fréquentes un peu, tu vois comment il fonctionne, disons en trois soirées, tu arrives assez facilement à décider si c’est plutôt un Mac ou un PC, tu vois ?
-Il va falloir que tu m’expliques mieux, là, je suis à peu près aussi douée en ordinateurs que ta sœur.

Amandine poussa un long soupir exaspéré.

-Ben un Mac, c’est un type qui est plutôt beau à regarder, mais à qui il manque 2-3 features indispensables. Genre tu peux pas trop communiquer profondément avec lui, son système de classement des fichiers est bordélique, son disque dur, son cerveau, quoi, est pas vraiment accessible par l’utilisateur, l’utilisatrice lambda, et au final tu te demanderas toute ta vie s’il en a vraiment un… »

La porte de l’appartement s’ouvrit brusquement, et Anne et Amandine bondirent du lit pour aller voir si Max et Millia rentraient ensemble ou séparément, main dans la main où en regardant leurs pieds. En l’occurrence, il s’agissait de Sam, qui se dirigea immédiatement vers la cuisine, ouvrit le frigo, puis une bière, avant de demander, vaguement, s’il restait des cartons à monter.« Oh, on a fini il y a environ trois heures, déclara Amandine d’une voix où suintait l’ironie… »
« Ah », répondit Sam. Puis il s’assit dans le canapé.

Amandine et Anne échangèrent un regard.
« Voilà, déclara Amandine. Décoratif, souvent inutile à moins d’avoir à lui faire faire quelque chose de clinquant ou de classique, tu peux être sûre qu’il y a genre Word et Excel d’installés dessus, peut-être un ou deux trucs vraiment utiles ou fun, mais sinon il n’y a pas grand’ chose qui le différencie du Mac d’à-côté. A la rigueur un écran plus ou moins grand, mais à part ça, tu trouveras le même abonnement à GQ, le même abonnement à Holmes Place, et une tendance générale à devoir le changer dès qu’un truc minime commence à ne plus fonctionner. En même temps, si tu as des besoins classiques, tu peux y aller tranquille, ça occupe, c’est pratique, et tout le monde veut le même parce que c’est le modèle qu’utilisent 90% des personnages de films.
-OK, je vois.
-De l’autre côté t’as les PC Windows, tout ça tout ça, Alors là tu peux y aller comme tu veux, tu peux farfouiller, bidouiller, et pour peu que tu saches à peu près ce que tu fais, tu peux même les ouvrir et changer des composants. OK, ils sont buggés à mort, et tu vas avoir des moments où ils crashent juste au milieu de la conversation, Blue Screen of Death, y a plus qu’à rebooter (et sur les mecs, c’est pas comme sur les ordis, le mode sans échec, connais pas). Mais en même temps, t’auras tellement fait de trucs avec que c’est normal, quelque part. Au pire, tu réinstalles, OK, tu vas perdre 2-3 trucs, mais c’est pas gravissime, et au final tu pourras lui faire faire plein de trucs, comme par exemple la recette des pâtes au thon de la mort qui tue, bien trop salissante pour un Mac.
-C’est vrai que je vois assez mal Sam mettre un petit tablier avec des citrons dessus pour éviter de tacher son Hilfiger avec de la sauce tomate.
-Et puis il y a plein de modèles différents, au moins, donc aucun ne va précisément avec tes meubles , mais si ça fait l’boulot, tu t’en fous.
-Et tu penses que Max, c’est plutôt un PC, alors ?
-Ouais, grave, mais Max c’est encore toute une autre histoire, meuf.
-Comment ça ?
-Max, il tourne sous Linux. »

La porte s’ouvrit doucement, s’excusant presque, Une fois encore, Amandine et Anne se précipitèrent. Max, la main droite sur la porte, les yeux écarquillés, regarda longuement les sourires d’Anne et Amandine, semblant hésiter entre l’un et l’autre. Il lança un regard interrogateur à Millia, qui ferma la porte, en lançant « Quand est-ce qu’on mange ? ».

A suivre…

Photo CC Jim, remixée par Arnaud

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