CdL 50 : Vie et mort du Dandy de la Riponne

CdL 50 : Vie et mort du Dandy de la Riponne

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Les Chroniques de Lausanne - chapitre 50 : Où l'on retrouve un vieil ami dans de sales draps.

PripyatHospitalbyTimmSuessRésumé des épisodes précédents : Après être sorti de l’hôpital, Sal se retrouve happé par la Riponne et par son ancienne vie, mais un souvenir de Violette finit par le décider de rendre visite à son pote Acné, le Dandy de la Riponne.

L’appartement du Dandy de la Riponne sentait toujours autant la poussière, mais une odeur plus douce, une odeur de vieilles fleurs, presque écœurante, s’était ajoutée depuis sa dernière visite. Sal avait attendu presque cinq minutes entre le moment où il avait sonné à la porte et celui où une petite voix, presque un murmure, avait péniblement demandé qui était là. « C’est moi », avait répondu Sal, un peu rassuré, pas beaucoup. Il avait franchi la porte entrouverte et l’avait refermée derrière lui en cherchant son pote du regard.

Il ne restait rien d’Acné ou presque, un fantôme aux yeux caverneux perdu au milieu d’un grand duvet et d’innombrables coussins satinés. On entendait parfois sa respiration râlante, un toussotement, ou un haut-le-cœur. Un sourire aigrelet qui semblait presque douloureux était apparu sur son visage lorsqu’il avait réussi à focaliser son attention sur Sal. « Alors, on vient rendre visite à sa vieille tante ? », il avait demandé, et une fraction de seconde ses yeux s’étaient un peu éclairés comme lorsqu’il parlait aux flics ou à un badaud à qui il essayait de taper de la thune. Et puis il avait fermé les yeux, et une inspiration grinçante avait secoué son corps tout entier. Terrorisée, la Voix avait commencé à tirer Sal par le bras, vers dehors, loin du saladier à côté du lit où flottaient des vestiges de repas, de cette pile de linge dans le coin qui sentait la mort, de ce cadavre encore chaud qui semblait vouloir les inviter à le suivre vers la lumière.

Sal, sans un mot, se saisit du saladier et alla le vider dans des toilettes constellées de maladie, le rinça, le remit au pied du lit de son pote. Vague mouvement de bras en guise de remerciement. Inspiration, râle. Acné lui tendit un verre collant que Sal alla remplir au robinet. Il le tint devant la bouche de son pote qui en renversa la moitié sur son pyjama crépi. Chaque gorgée luttait pour descendre et distendait son cou, une fois, deux fois, parfois trois. Epuisé, Acné se laissa tomber en arrière sur son lit.

« J’ai rien à t’offrir, mon cher, j’en ai peur… » Sal haussa les épaules. « Je me suis dit que tu étais parti, quelque part, ça fait longtemps… » Sal commença son récit, la course poursuite avec Long John, l’hôpital, Violette, les suées et la sauge médicinale, son baiser à la con, le type avec ses baskets jaunes fluo, la BD, le flic. Acné ne disait rien, semblait à peine l’écouter, peut-être qu’il dormait les yeux ouverts, sa peau crevée avait rétréci ses paupières. Un long silence s’installa ensuite, interrompu parfois par un jappement craintif de la Voix. Sal, assis par terre appuyé contre le lit, tête baissée, se demanda s’il devait partir lorsque son pote posa une main translucide sur son épaule.

« Et ils ont rien trouvé là-bas ? Pas de bug, pas de saloperie ?
-Non, non…
-C’est bien, c’est bien… Comme ils disent, tant qu’on a la santé…
-Tu es allé voir un toubib, quelque chose ?
-Ouais, vieux, j’y suis allé. J’ai pris le traitement un moment, ça coûtait cher mais au moins je claquais plus tout mon blé sur la dope. Et puis le toubib m’a dit que j’étais en échec thérapeutique, apparemment ces trucs ne marchent pas avec moi. Ca m’a pas vraiment étonné, j’ai toujours été têtu. »
Et son petit rire se termina en une quinte de toux qui le plia en deux. Une fois calmé, il tourna ses yeux vers la photo de lui et de son amour perdu.
« C’est tant pis, je pourrai le revoir plus vite… » Une unique larme coula sur sa joue droite.

« Et tu vas faire quoi, maintenant ?
-Je sais pas. J’y ai pas réfléchi, je suis juste venu là. Paraît que John est en taule, je devrais pouvoir retourner sur la Riponne…
-Et puis quoi ensuite ?, avait craché Acné, presque redressé sur son lit. T’as pas envie d’avoir une vie, quelque chose de mieux que ce que tu as connu jusque-là ? »

Sal, la tête rentrée dans les épaules, poussa un long soupir.
« T’es vraiment un petit con si tu y retournes. Là, t’es clean, autant que quelqu’un comme toi peut l’être, et tu vas faire quoi, retourner sur la Riponne avec tous ces connards aussi paumés que toi ? Attendre de chopper le bug, ou de crever de faim ? Finir en taule parce que tu es tombé sur quelqu’un qui va effectivement porter plainte ? Te faire plomber par le Manteau Noir..? »

Et il était retombé, épuisé, envoyant valser un nuage de poussière dans un rayon de lumière d’automne, toussant, crachant, dégueulant à moitié un liquide rosâtre dans le saladier. Sal se leva d’un bond, prêt à bondir, la Voix grondant de colère, de blessure et de rage.
« Et tu crois quoi, que tu vas me faire un plan juste parce que tu vas crever la gueule ouverte dans ton appart’ minable ?  Que tout d’un coup tu as oublié qui t’es, et que t’es juste comme moi ? J’en ai rien à foutre d’être clean si je suis tout seul, pédé, tu t’prends pour qui ? T’es même pas mon pote, t’es rien pour moi, tu vas finir et qu’est-ce que je vais faire, fils de pute, qu’est-ce que je vais faire ? »

La Voix s’était arrêtée, d’un coup, elle avait disparu quelque part et soudain Sal s’était senti seul, seul comme jamais, seul comme quand on vient de naître et qu’on est séparé de tout ce qu’on connaît de beau, de pur et de chaud. Il n’y avait plus rien à dire ni à faire, à part rester planté là, comme un con, les poings serrés, prêt à tabasser ce vieux type qu’il avait déjà blessé.

« Je suis désolé, Sal », avait haleté Acné dans un soupir. Sal avait grogné quelque chose. S’était rassis. S’était relevé, le bol à la main. L’avait vidé une nouvelle fois. En mode automatique, il avait tendu le verre à son pote, qui avait bu trois gorgées avant de sombrer de nouveau.
« T’es un bon petit gars, tu sais ? T’as le sang chaud, comme lui. », un œil sur la photo, une autre larme. « J’ai jamais eu l’impression que tu allais finir comme moi, comme les autres. Peut-être que j’aurais voulu que tu t’en sortes, et tu vois, là aussi c’est l’échec thérapeutique, comme ils disent… », et dans un petit ricanement sans humour, Acné raconta à Sal ce que savent ceux qui vont mourir bientôt.

A suivre…

Photo CC : Timm Suess

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