CdL 49 – Sortie

CdL 49 – Sortie

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Les Chroniques de Lausanne - chapitre 49 : Où l'on quitte le CHUV, un pincement au coeur.

KONICA MINOLTA DIGITAL CAMERAIl y avait du soleil un peu glauque lorsque Sal était sorti du CHUV son sac sous le bras. Un vague merci à Marie l’infirmière pas si méchante que ça – Violette n’était plus qu’une voix de temps en temps dans le couloir, –, et il avait signé son nom sur deux, trois paperasses. Sous « adresse », il avait écrit l’adresse d’Acné sans trop y penser. Il y aurait sans doute une facture, des trucs… Au moins, il était libre, et la Voix jappait de plaisir. Les portes automatiques chuintèrent en guise d’adieu en se fermant derrière lui. Il s’arrêta un instant quelques mètres plus loin, leva les yeux sur le onzième étage. Il aurait voulu deviner sa silhouette derrière la vitre de sa chambre.

Sur la petite place devant le bâtiment, des familles et des gens seuls marchaient en direction de l’arrêt de métro ou dans l’autre sens, un type en chemise grise roulait une clope accoudé à un petit muret, des voitures passaient en direction du parking. Derrière sa fenêtre, il n’y avait personne. Sal baissa les yeux sur ses baskets, et traîna des pieds en direction de la Riponne, avant d’être interpellé par le type en chemise grise.

« Excuse-moi, gars, t’aurais pas du feu ? »

Sal fouilla ses poches un moment, et remit la main sur son petit bic jaune trouvé par terre. Il le tendit au type qui l’alluma en y portant sa clope. Tendant son briquet à Sal, il lui fit un clin d’œil malicieux.

« T’es là pourquoi ? Moi j’ai un genre de verrue sur un orteil qui me fait un mal de chien.
-Un accident…, répondit Sal presque à voix basse.
-Oh. Voiture, ou…?
-Truc comme ça…
-C’est la merde ces trucs. J’ai jamais passé le permis de ma vie, perso.
-Ah, c’est cool. Bon, je dois y aller.
-Oh, attends, mec, tu m’as dépanné, je peux faire un truc pour toi…
-C’pas la peine, répondit Sal en tournant les talons.
-Non non, j’insiste, le karma, tout ça… »

Le type le suivait, tranquillement. Sal s’arrêta :

« C’est bon, là, c’était juste du feu, OK ? J’ai besoin de rien, donc tu me lâches…
-OK, OK, je voulais juste te filer ça, en fait, au cas où tu aurais besoin. »

Il poussa une petite carte blanche dans la main de Sal : Inspecteur Christophe Delamuraz, Brigade des mineurs, Police Municipale de Lausanne. Sal leva les yeux sur le type. Un sourire plutôt sympa s’affichait sur son visage, un sourire sans rien derrière.

« Je suis un pote de Violette… T’es pas obligé de me parler maintenant, ou jamais, mais au cas où tu aurais un souci à l’occase, tu as le droit de m’appeler. En ce qui me concerne, tu n’as rien fait de mal dans toute cette affaire, donc je te file un joker. Les gars qui t’ont amené ici m’ont fourni une bonne description de l’agresseur, donc j’ai même pas besoin de toi pour le procès. Donc voilà, tu as ça au cas où, si jamais tu as un pépin. Y a un message de Violette, derrière, je crois… »

Sal retourna la petite carte. Au crayon, trois mots, suivis d’un V majuscule : « N’oublie pas. »

« Putain, je lui avais dit…
-Ouais, tu lui as dit de rien dire et elle l’a fait quand même. Elle est comme ça, Violette, c’est la reine des casse-couilles. Ceci dit elle a fait que ça, me le dire, c’est moi qui ai décidé de venir.
-Ben c’est cool, ricana Sal. Ben tu lui diras qu’elle était pas obligée de m’envoyer son mec, je vais me démerder très bien tout seul. »

Delamuraz baissa la tête, et un petit rire étrange sortit de sa gorge. Puis il leva les yeux, lança un « OK, c’est cool, alors à un de ces quatre, peut-être… », et se dirigea vers le CHUV en boitant, sans un regard en arrière. Sal regarda la carte un moment, la roula en boule et la balança dans son sac. Puis ses pieds empruntèrent de nouveau le chemin de la Riponne.

La Rue du Tunnel est une courte rue en pente séparant les deux places de Lausanne les plus propices à faire trembler les gens de bonne famille. En haut, on trouve la Place dudit Tunnel (et ledit Tunnel également), où les bars sont sombres, où les cars se garent, et où les badauds semblent toujours attendre quelque chose ou quelqu’un. En bas, la Riponne, cette grande étendue vide outre quelques piétons avec à chacun de ses pôles des marginaux, toxicos, déglingos en tous genres, constituant la principale animation.

Sal faisait plutôt partie des Sudistes, et dévalait la rue d’un pas malaisé, le dos encore raide et douloureux. Son pansement le tiraillait parfois, la poignée de son sac glissait un peu le long de son épaule trop maigre. Frôlant les murs, il avançait tiraillé par la Voix qui jappait joyeusement dans sa tête. Il avait encore de la thune, il pouvait se faire une petite ligne vite fait avant de se décider à laisser tout ça derrière lui, rentrer chez sa reum, aller faire un apprentissage ou un truc.

Arrivé au carrefour, Sal avait repéré de loin Elsa, sa petite silhouette triste dans sa parka dégueulasse, sa voix enrouée qui beuglait. Il y avait aussi Michel et Roger, assis sur leur banc en train de s’engueuler comme d’habitude. Pas de trace de John, avec un peu de chance il était en taule. La Voix humait l’air familier, un sourire à ses babines, et Sal traversa instinctivement.

Un coup de klaxon sonore le fit bondir en arrière. Un énorme camion faillit lui rouler sur les pieds. Sur le côté, un énorme V majuscule faisait comme une paire de sourcils froncés et Sal, presque sonné par la peur de sa vie, s’arrêta interdit, la main sur le poteau d’un feu de signalisation indiquant que non, décidément, il n’était pas sage de traverser sans regarder. La Voix s’assit un instant, elle pouvait attendre quelques secondes puisque la récompense était si proche.

Le feu passa au vert, la Voix se redressa. Sal leva le pied, s’arrêta, puis fit demi-tour. Acné n’était pas sur la Place. Il allait d’abord passer chez lui.

A suivre…

Photo CC : Seth Sechrist

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