CdL 48 : Le déménagement (3)

CdL 48 : Le déménagement (3)

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Les Chroniques de Lausanne - chapitre 48 : Où l'on s'amuse aux dépends d'un de nos protagonistes.

crossedEmilien rangea le dernier carton proprement étiqueté « Sapes + livres » (le huitième) sur la banquette arrière de la voiture, avant de remonter prendre une petite pause-café. En remontant par l’escalier, il se demanda ce qui exactement faisait qu’on se sentait tellement bien chez Millia. Peut-être simplement le fait que l’appartement, une vieillerie fort bien rénovée dans un immeuble cossu d’Ouchy, semblait murmurer à chaque instant qu’ici, c’était un chez-soi, pas seulement un lieu où l’on dormait entre deux journées de boulot. Un peu comme le bordel de la chambre de Max, où il faisait bon s’asseoir pour peu qu’on n’hésite pas à déplacer un ou deux ordinateurs en équilibre instable sur une pile de comics (eux-mêmes par contre soigneusement triés par ordre de publication) avant de trouver une surface plane.

Il voyait d’ailleurs assez bien pourquoi Millia plaisait tant à son pote. Un sourire omniprésent semblait la faire briller de l’intérieur, et une fois une certaine réserve passée pendant la première bise et les présentations, facilitées par une Amandine qui se rappelait fort bien d’Emilien, elle l’avait immédiatement adopté, lui avait servi un café, et avait semblé se soucier de ses hôtes comme si ceux-ci faisaient partie de sa famille proche. Emilien s’était senti un peu gêné au début, après tout il était seulement là pour filer un coup de main, et puis, désarmé par tant de gentillesse, s’était laissé approcher.

Max, évidemment, avait passé un moment plus compliqué : D’habitude très à l’aise dans toutes les situations (il suffisait qu’il s’asseye dans un bar une heure pour que tout le monde se souvienne de lui et qu’il ait appris le nom de chacun des serveurs, serveuses, et du chat qui passait sur la place), avait l’air perdu, paniqué, et totalement paranoïaque, sursautant à chaque fois que quelqu’un lui adressait la parole. Assis sur un accoudoir de fauteuil du bout d’une demi-fesse, il faisait semblant de tweeter d’une main en s’agrippant à sa tasse de café de l’autre. Il avait l’air fondamentalement malheureux, loin du rocher de stoïcisme viril qu’il avait essayé d’imaginer dans le métro.

Amandine, assise à côté d’Emilien, lui donna un petit coup de coude : « Hé, tu veux voir un truc drôle ? » Emilien hocha la tête.
« Max ! », cria-t-elle avec un peu plus de force que strictement nécessaire. Max tressaillit, glissa de l’accoudoir se retint du mieux qu’il put et manqua de renverser son café sur la moquette. « Non, rien, désolée… », ricana Amandine, pas désolée du tout. Puis elle glissa à Emilien : « Ce type, il aime tout le monde d’habitude, non ?
-Je crois qu’il est un peu préoccupé, là, répondit Emilien, peinant à étouffer un sourire.
-Je crois que je comprends… Ceci dit, regarde ma sœur quand elle s’approche de lui. On dirait une femme de Stepford. Elle passe de roots à Sissy impératrice, c’est chanmé.
-Ca t’amuse, toi, tout ça ?
-Grave ! T’as l’impression qu’ils peuvent pas se blairer alors qu’ils sont trop en phase, franchement c’est la vie sitcom, c’est énorme !
-Ah, qu’est-ce qu’on ferait sans le malheur d’autrui ?
-Je sais pas si c’est du malheur en vrai, tu vois ? Il y a un moment où l’un des deux va faire quelque chose de suffisamment non-autiste pour qu’ils posent tout leur drama sur la table, mais comme ils sont tous les deux coincés des sentiments, il faut juste attendre un moment, tu crois pas ? Bon, c’est pas tout ça mais il reste encore des cartons, hop hop hop ! »

Elle se leva et se dirigea vers la porte, non sans manquer de faire un bouh ! sonore à Max, qui finit cette fois par échapper sa tasse vide. Morte de rire, Amandine se saisit d’un carton et dévala l’escalier. Emilien regarda Max, rouge comme une tomate, et Millia qui était venue s’excuser pour sa sœur, tous les deux balbutiant, tous les deux raides, tous les deux gauches. Il déposa sa tasse dans l’évier, souleva un carton, et descendit les escaliers. Amandine avait raison : C’était plutôt drôle.

A suivre…

Photo CC Kristina Alexanderson

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