CdL 47 : Le déménagement (2)

CdL 47 : Le déménagement (2)

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Les Chroniques de Lausanne - chapitre 47 : Où l'on déterre un secret du passé.

ByebyeKittyNaturellement, le sourire d’Anne avait mis un peu plus de temps à se réveiller qu’elle. Naturellement, un déménagement, c’est du stress, c’est un remaniement définitif de qui l’on est, c’est un boulot fou dont le fruit ne devient apparent que plusieurs mois après. Naturellement, donc, Anne aurait dû se coucher tôt après avoir finalisé les préparatifs. Et naturellement, elle était sortie au Buzz, où elle avait naturellement levé un type mignon-mais-pas-trop, qui avait pris la fuite ce matin au moment où Amandine scotchait les cartons, avec ce bruit si significatif de scotch qui se tend en faisant “boing”. Elle avait préféré faire semblant de dormir encore un moment, et il n’avait pas forcément demandé son reste.

Bon, tout n’était pas si grave, en vérité, après tout ce n’était pas comme si elle avait des meubles, Thierry n’ayant tout de même pas abandonné ses étagères Billy™ après qu’elle lui avait brisé le cœur. Par conséquent un voyage suffirait, ses coloc’ et sa VW Beetle suffiraient amplement, un voyage, peut-être deux, et ça suffirait. Ca devait suffire, non ? Ca allait suffire.

Un coup d’œil vaseux à son réveil lui indiqua 7:17. Amandine scotchait toujours, Millia était sans doute en train de déjeuner en lisant l’un des trente mensuels auxquels elle était abonnée. Un petit pincement au cœur, quand même : elle allait lui manquer, sa copine. Aller s’asseoir à côté d’elle pour prendre un café tous les matins, en silence ou presque, en regardant le joli appartement lumineux, Ouchy par la fenêtre du balcon, le lac et les montagnes… Amandine lorsqu’elle était là, ses rollers, ses histoires de lycée, ses vidéos tremblantes qui montraient les gens de préférence trop près, comme si son zoom était systématiquement bloqué sur x12 et qu’elle approchait quand même, comme si elle voulait vraiment capturer les gens, ne sachant que trop bien que personne n’est éternel. Déménager, c’était laisser tout ça derrière elle.

S’étirant tel un gros chat pas très bien réveillé, son sourire objecta à ce moment qu’éventuellement elle pourrait éventuellement revoir les deux sœurs, ne déménageant qu’à moins de deux kilomètres, qui plus est seulement en descente… Ce ne serait pas pareil, sans doute, mais il fallait qu’elle bouge (ne serait-ce que pour ne pas avoir à montrer certaines de ses conquêtes les moins reluisantes…), cela faisait quand même huit mois qu’elle squattait. Et puis éviter la visite réglementaire de Saskia le dimanche au brunch, était l’un des avantages de cette aventure pour lequel elle aurait beaucoup sacrifié… En plus, ils étaient rigolos, les garçons, même si apparemment Max était plus lunatique qu’il en avait l’air au premier abord, laissant Millia assez perplexe il y a quelques mois. Ils s’entendaient très bien, et pouf ! du jour au lendemain, il était devenu distant.

L’odeur du café était trop délicieuse pour qu’Anne reste au lit une seconde de plus. Amandine lui fit un petit signe du dérouleur de scotch qu’elle tenait dans la main James-Bond-style lorsqu’elle franchit le seuil, et Millia lui lança son « Salut » tout doux. Une tasse dans la main, Anne s’adossa au four, alluma d’abord la hotte puis une Vogue Lilas, inspira, souffla un nuage de fumée immédiatement happé par le courant d’air.

« J’ai trop la tête dans le cul… » Millia lui lança un sourire entendu. Amandine s’approcha et se servit une tasse de café avant de s’asseoir entre sa grande sœur et Anne :
« Il était mignon celui-ci… On aurait dit Rob Stark en moins carré…
-Qui est Rob Stark ?, demanda Millia.
-Mais je t’ai envoyé genre 50 liens pour que t’ailles regarder Game Of Thrones, sérieux ! »

Millia avait un léger problème avec la technologie, ce qui frustrait Amandine, dont seul son amour pour la vidéo et ses virées en roller lui faisaient décoller de l’ordinateur, au plus haut point. Elle avait par exemple programmé tous les téléphones de ses deux sœurs depuis l’école enfantine, non sans laisser parfois poindre son agacement, notamment une fois où Millia avait dû reconnaître dans un métro bondé que le téléphone qui hurlait en boucle « Baby » de Justin Bieber était effectivement le sien.

-Mais il y a un problème avec mes mails, répondit fort évasivement Millia, j’ai dû changer de compte…
-C’est pas vrai… Mais tu le fais exprès ou quoi ? Ca fait la vingtième fois que tu perds ton mot de passe. La prochaine fois, demande, patate, ça fait longtemps que je les ai tous dans le cloud. »

Anne et Millia échangèrent un regard confus, celui-là même qui les avait rapprochées dans le cours de M. Blunier, leur prof de Géo, lorsqu’il leur avait demandé où était situé le Siam…

« Mais euh, ça veut dire que peut-être je peux voir mes anciens mails et tout ? Ca serait bien, je crois que j’ai deux, trois mails du boulot qui sont passés à la trappe…
-Ohlala, mais sérieux, c’est pourtant pas difficile.
-Peut-être aussi une facture ou deux… »

Amandine lâcha immédiatement son café, et courut chercher l’ordinateur de sa sœur penaude.

« Mais c’est de leur faute, aussi, il faut changer ses mots de passe tous les 2 jours, maintenant, et en plus il faut se rappeler de celui d’avant pour pouvoir le changer… » Anne posa une main sur le bras de sa copine. Il valait mieux ne pas énerver un peu plus une Amandine confrontée à la perspective d’une imminente coupure d’électricité, voire pire, d’Internet.
En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, Amandine posa l’ordinateur de Millia devant sa sœur médusée :
« Tiens, les voilà, tes mails. Et la prochaine fois, au lieu de créer ta, quoi… cinquième, sixième boîte mail, tu me fais signe. »
Avalant son café d’un trait, lâchant un dernier « patate ! », Amandine reprit son entreprise de scotchage systématique en grommelant. Millia promena un instant ses yeux sur l’écran… « Tiens, j’ai un mail de Max », lâcha sa copine. Anne se resservit un café, beurra une tartine, et lui appliqua une couche de confiture de myrtilles à la limite de la décence, largement encouragée par son sourire, encore plus gourmand qu’elle. Mordant à belles dents dans le sucre, elle allait se lever pour aller se changer, lorsque sa copine posa sa main sur son bras, pivotant un peu le petit ordinateur pour lui montrer quelque chose.
Anne se pencha sur le mail.

De : MaxDansTaFax@infomaniak.ch
A : Millia1987@hotmail.com
Sujet : [No subject]
Parce que j’ai passé trois heures avec toi aujourd’hui, mais que je me suis dit que ce serait jamais suffisant…

Anne se refit une tartine. Elle regarda Millia, rouge comme une tomate. Puis elle haussa les épaules : « Oups ! »

A suivre…

Photo CC : Eva

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