CdL 22 : Boys’n’toys

CdL 22 : Boys’n’toys

Posté dans : Feuilleton 1
Les Chroniques de Lausanne - 22 : Où l'on discute d'amitiés et de mystère en profitant de son samedi.

Posé sur le sol, adossé à son lit, Max appuya sur start, inspira, serra d’une main sa manette et épousseta une miette de Zweifel de l’autre. Son compteur de combos était ridiculement élevé, et l’euphorie d’une victoire chèrement acquise le faisait grimacer de bonheur. Emilien dans le fond de la pièce farfouillait dans l’épouvantable fatras de machines, de fils, et de consoles vintage que Max avait accumulées au fil des ans en l’encourageant de temps en temps, suivant l’histoire d’une oreille lorsque les cinématiques prenaient le pas sur le jeu.

Parfois, les deux garçons échangeaient quelques phrases mais, en ce début d’après-midi d’hiver, la tendance était à l’oisiveté domestique, ce qui n’était d’ailleurs pas un problème pour Max, qui appréciait particulièrement ces moments de calme partagé. Sam était parti juste avant midi, sans doute pour rejoindre Saskia, il devait revenir bientôt et les trois s’étaient arrangé une petite soirée tout aussi domestique et peut-être même un peu plus oisive encore, savant mélange de ce que Max appelait vitamines du cerveau : Alcool, Séries B, et Caféine, sans parler bien entendu de certains autres ingrédients naturels qui le faisaient régulièrement bénir le ciel que son aïeule ait choisi la Suisse comme destination de son exil.

Emilien s’était installé dans leur dynamique commune comme une évidence, et Max, entre deux quarts de cercle imprimés sur le joystick gauche, laissait son esprit vagabonder dans le pourquoi des amitiés. A voix haute, il lâcha dans un soupir d’aise : « Pour qu’une surprise soit bonne, il faut toujours qu’elle reste un mystère ». Emilien dans son coin leva la tête :

-Tu fais dans l’aphorisme, aujourd’hui ?
-Non, mais c’est vrai. Regarde : Tu viens en stage deux jours dans une ville que tu ne connais pas, tu ‘ois, quelques mois plus tard tu y vis, t’as des potes, et tu passes tes samedis à bidouiller de l’électronique. Ca, c’est une surprise, et elle est plutôt bonne, t’sais ? Et puis le mystère, c’est juste que de tous les gens que tu as croisés par hasard, il fallait que ce soit genre Sam et moi, pourtant moi j’avais trop pas envie de sortir ce soir-là, et puis tu aurais pu choisir un autre bar, et puis retourner chez toi et on en parle plus.
-Ce serait quoi ? Le destin ?, lança Emilien, dubitatif.
-Justement pas, justement pas, tu vois ?  C’est un truc. Tu peux l’appeler comme tu veux, le destin, les Voies du Seigneur, le karma, la Force, ou l’influence du monstre de spaghettis volant, ça voudra pas dire que ce sera vrai, dans tous les cas, t’sais ? Et c’est ça, tu vois, le mystère. C’est comme les ésotéristes. On se connaissait à peine, Sam et moi on essayait toujours de les inviter à bouffer et tout, mais c’était jamais le bon moment, elles avaient toujours quelque chose à faire, ou quoi. Et puis un jour, Anastasie m’a envoyé un message : « Soyez chez vous à 19 heures, on arrive. » Ca n’avait rien de rationnel, peut-être que Zelda avait lu ça dans des feuilles de thé ou la paume de leur dernier gogo, pas grave, mais elles ont débarqué, on se connaissait pas plus à la fin de la soirée qu’au début, mais tout d’un coup on était amis, boum. Ca t’est jamais arrivé à toi ?
-Pas tellement, non. C’est quoi ce truc ?
-C’est ma mixette, mec, enfin c’est pas la mienne, c’est celle de Hans, notre ancien colloc’, mais il me l’avait prêtée, tu vois, je lui rendrai quand il reviendra, mais comme c’est moi qui ai les grosses enceintes, il l’avait laissée ici, tu vois ?
-OK, et comment ça marche ?
Max mit son jeu en pause, farfouilla un moment un fatras invraisemblable de câbles divers, brancha l’instrument à son ordinateur qu’il réveilla d’un mouvement de souris, et bidouilla un moment dans quelques menus.
-Alors voilà, tu vois, tu mets un morceau sur une piste.
Immédiatement, la ligne de basse d’Another One Bites the Dust déferla dans la pièce.
-Là, tu loopes, ça veut dire que tu fais passer une partie en boucle. Juste l’intro on va faire, pour essayer. Pendant ce temps, tu mets un deuxième morceau sur l’autre piste, et tu lances.
Un bruit de foule, un klaxon, un autre, et la guitare hypersaturée de Da Funk commença une litanie qui s’ajustait tout juste sur la ligne de basse, comme si les deux morceaux étaient faits pour s’entendre, comme si malgré leurs différences, ils s’étaient toujours connus.
-Et là, tu déloopes le premier, pour faire progresser le morceau.
Steve walks warily down the street, with the brim pulled way down low.
-Tu vois, là c’est le cross fader, il te permet de laisser la parole à l’un ou à l’autre, comme tu préfères.

Dansant à moitié derrière son écran et devant un Emilien captivé, bidouillant des potentiomètres, ajustant, freinant, récupérant, Max dirigea un instant sa symphonie de poche, avant de conclure par « Et ça, fils, c’est ce qu’on appelle, au choix, un mashup ou la pire imitation de Mickey dans l’Apprenti Sorcier ».

-Ouiiiii, je savais bien que tu me faisais penser à quelqu’un ! Merci, vieux, ça m’aurait empêché de dormir pendant toute la nuit. Et tu fais ça depuis longtemps ?
-C’est Hans qui m’a appris. Il était pire bon, mec, pire bon. Je dois avoir 2-3 mixes à lui qui traînent, je te ferai écouter ça.
Les clés de Sam résonnèrent sur le granit du petit guéridon de l’entrée au moment où la lourde porte claquait.

A suivre…

Photo CC Harald Walker

  1. Avatar
    Mum
    | Répondre

    Heureuse de découvrir le monstre de spaghettis volant ! merci au LBB et à Emilien et Max surtout, de travailler à ma culture générale.

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