Cartographie érotique de Lausanne

Cartographie érotique de Lausanne

Fantasmer dans le bus 9, ne pas jouir au Buffet de la gare, tomber la culotte à Rumine… Le Point V ( ; ) revisite sept lieux lausannois sous l’angle du désir.

Ligne 9

Enfin, fini. Je fais un arrêt dans mon bureau pour préparer les dossiers de demain et j’éteins mon ordi – pas envie d’y passer des plombes ce soir. Un petit saut rapide aux toilettes avant de me diriger vers l’arrêt de bus. Aujourd’hui je me sens belle, sexy – I’m feeling myself. Le miroir me renvoie une image qui me plaît. C’est peut-être la couleur de mon fard à paupières, j’ai l’impression que mes yeux pétillent. L’arrêt, c’est qu’à deux minutes à pied, mais les écouteurs dans les oreilles, je me sens propulsée dans un monde de rêverie, je ne suis qu’à moitié consciente de ce qui m’entoure. Le bus est là, je monte et m’assieds. La couture de mon pantalon frotte contre ma vulve, contre mon clitoris. J’observe les gens et je me demande comment ça serait de faire des trucs avec, comment seraient leur corps nu, leur verge, leurs fesses, leurs seins. Je croise quelques regards dont je ne me détourne pas, je me demande si ça se voit que je t’imagine à poil. “Prochain arrêt : Chauderon”, dommage, deux minutes encore et j’aurais peut-être eu envie de t’inviter boire un verre, ou plus.

Plongeon final, Le Point V

Buffet de la gare

– Ça t’avait manqué, avoue.

Je plaque son torse contre le mur couvert de carrelage, pressant ma poitrine contre son dos. D’une main, j’agrippe ses cheveux ondulés et tire sa tête vers l’arrière. Il gémit. Ses yeux sont clos, son visage serein.

– Qu’est-ce qu’ils diraient, tes collègues, s’ils savaient ce que tu fais pendant ta pause de midi ?

Il ne répond rien. Je sais qu’il goûte déjà cet abandon, que je lui offre comme un cadeau. Alors je le retourne, pour qu’il se retrouve face à moi. Deux étages plus hauts, une foule bruyante s’amasse autour du buffet. Moi, je menotte les poignets d’un homme – cravate bleue, Richelieu impeccablement cirés, la trentaine – à l’aide d’un scotch noir qui le privera d’initiative pour les minutes à venir. Mes doigts s’affairent ensuite autour de la boucle de sa ceinture, que je défais avec une adresse toute relative, avant de faire glisser le pantalon et le caleçon – laine cardée contre élasthanne défraîchi – le long de ses hanches. Sa verge est dure. J’enduis ma paume de lubrifiant avant de l’enserrer, puis commence à jouer.

C’est enivrant de regarder l’autre s’abîmer dans le plaisir, enivrant au point de menacer la maîtrise totale qui sied à mon rôle. Je me concentre alors sur les réactions de son corps. Je guette les variations du rythme de sa respiration, les modulations de ses râles, les contractions infimes de son pénis.

A la dernière minute, je lui empoigne le visage et, plongeant dans son regard désarmé, lui murmure dans un sourire : Tu ne croyais quand même pas que j’allais être aussi gentille ?

Avenue de France

C’est à mon tour de t’offrir le café, lui dis-je en m’emparant du ticket. Il a la délicatesse de ne pas protester et se contente de me sourire en baissant les yeux – son fameux sourire un peu gêné, sans orgueil ni fausse modestie. C’est presque devenu un rituel de se retrouver ici, dans ce bar excentré. Une à deux fois par année, quelques heures intenses de discussion puis les au revoir. Le gris dans ses cheveux a encore conquis du territoire. Me trouve-t-il changée depuis notre première rencontre ? J’ai l’impression que notre écart d’âge s’est resserré depuis que j’ai atteint la trentaine. Le rapport vaguement hiérarchique qui nous liait autrefois a fait place à une relation plus intime, même si on ne parle pas de notre vie amoureuse. Nos récits de voyages occupent la majorité de nos échanges – on batifole du côté de l’intellect. Jamais il n’a même frôlé mon avant-bras. Jamais sa main n’a caressé ma joue, son regard bleu au fond du mien. Jamais je n’ai senti ses doigts descendre le long de mon cou, suivre le contour de ma clavicule, dessiner un cercle sur mon sein frissonnant. Parcourir mon ventre d’un grain de beauté à l’autre. S’approcher des poils recouvrant mon sexe déjà secoué d’infimes contractions.

C’était un plaisir, me lance-t-il en franchissant la porte du bar. Je lui adresse un léger signe de la main en guise d’adieu, en me disant que la beauté des relations humaines réside parfois dans des curiosités jamais assouvies.

Lignes descendantes, Le Point V

Stade de Coubertin

Des affaires reposent déjà en tas désordonné dans un coin du vestiaire. L’humidité et le bruit des gouttes qui s’écrasent sur le sol de la douche collective s’infiltrent petit à petit dans la pièce. Mon corps appesanti se dirige mécaniquement vers le miroir. Une figure écarlate m’adresse un regard défiant. Je détourne légèrement les yeux et entrevois, derrière elle, un corps ruisselant sous l’un des pommeaux.

Les yeux fermés, les mains plongées dans une chevelure courte, les doigts qui massent avec application le cuir chevelu. Je retiens mon souffle, accompagne les gouttes dans leur cheminement vallonné. De petits seins exposés par les bras relevés. Juste en dessous une ligne, comme un défilé qui me précipite jusqu’au nombril. Cascade stoppée un instant par une forêt de poils noirs et bouclés, qui continue lentement sa chute le long d’une jambe athlétique. Plongeon final entre les orteils, la larme se brise sur le sol carrelé.

Je parcours rapidement le chemin en sens inverse, remontant jusqu’au visage qui couronne ce palais de chair. La culpabilité me rattrape à l’exact moment où nos regards se rencontrent dans le reflet. Maintenant cramoisie, j’attrape mon sac et dans ma fuite éperdue, j’entends quatre mots assourdis : À la semaine prochaine !

Palais de Rumine

Je m’élance dans l’escalier de pierre, franchis les marches trois par trois. Je suis aussi pressée de trouver un peu de fraîcheur que de le retrouver lui. Il doit m’attendre à l’endroit habituel, dans une des alcôves situées sous la bibliothèque. Il sait que la proximité des reliures de cuir – et des récits qu’elles emprisonnent – excite mes sens. Je m’arrête sur le premier palier, devant la fontaine.

J’essuie la sueur qui s’écoule le long de mes cuisses nues et j’en profite pour retirer ma culotte, que je glisse dans mon sac. Parée. Je me dirige vers la droite, à sa recherche.

Une main agrippe mon poignet et m’attire contre une des colonnes. Instinctivement, je ferme les yeux. Même si je reconnais d’emblée la pression de son corps, puissant et réconfortant, je me plais à penser qu’il pourrait être celui d’un autre. Inconnu. Nouveau. Fictionnel.

Ses doigts remontent le long de mes jambes, se glissent sous ma robe et rencontrent ma vulve. Il est surpris. Mais comprend vite. J’ouvre les paupières pour le voir enfouir ses cheveux noirs entre mes cuisses. Mon ventre brûle de l’intérieur. Sa bouche n’a pas encore embrassé mes lèvres que je lutte pour rester debout. Je passe mes bras au-dessus de ma tête pour m’accrocher à la colonne. Lorsque sa langue commence à dessiner des cercles autour de mon clitoris, je remonte mon regard vers la voûte. Et croise celui du bibliothécaire, sur le second palier.

Reliures de cuir, Le Point V

Voie 6

Mes yeux se lèvent en direction du panneau bleu… cinq minutes de retard – pas assez pour m’acheter une brioche. Étourdie par ma course folle, je balaie le quai du regard. Alors, je le vois, l’inconnu du train, toujours à la même place. Le rituel commence : partant de son visage, mes yeux descendent rapidement en direction des chaussures, remontent le long de ses jambes puis observent avec attention la rondeur de ses fesses. Un petit pain au lait.

Le train arrive ; j’ai pris pour habitude de me placer à l’opposé du wagon, dos à lui, de façon à m’empêcher de le reluquer. Je slalome entre les voyageurs et jette un dernier coup d’œil derrière moi : rassurée qu’il soit hors de mon champ de vision, je m’assieds. Je défais mon chignon, m’ébouriffe les cheveux, relève la tête et là je le vois, quelques sièges plus loin, me faisant face. Une vague de chaleur froide m’envahit. Mes yeux rebelles continuent leur travail d’inspection. Il pose sa cheville sur le bas de sa cuisse, dévoilant ses chaussettes à motif de cactus – pire stylé. Sous la tension des jambes croisées, son pantalon moule son sexe. Je m’imagine découvrir avec mes mains et ma bouche ces formes rebondies. Un chausson aux pommes.

Je ferme les yeux pour savourer plus intensément ces images et me laisser divaguer à d’autres. Mes paupières s’ouvrent lentement, je le cherche du regard, il n’est plus là. Je le vois debout devant la porte, prêt à sortir au prochain arrêt. Je souris, et me réjouis de le revoir demain sur le quai. Mon ventre gargouille.

Place de l’Europe

Je vois la bouche remuer mais aucun son ne me parvient. Mes oreilles tentent de faire face à un trop plein de bruit. Les arches en pierre – on croirait se trouver dans un caveau et pourtant on se situe bien au-dessus du niveau du sol – sont remplies de musique, du brouhaha des voix, d’un air saturé de sueur et d’alcool, tellement épais qu’on croirait pouvoir le palper. Les murs gris sont placardés d’affiches colorées rappelant des soirées où je ne suis pas allée. Ce n’est pas que j’ai tellement bu. Mais les vibrations lumineuses rampent le long de la pierre et les basses m’étreignent tout entière, me donnant une étrange sensation de flottement. La bouche me sourit. Une incisive décalée me plaît. Je souris en retour et sens un bras se poser sur ma taille. Une légère pression appliquée sur mes reins et, shit je répands un bon tiers de ma boisson sur le sol déjà collant. Quand je relève la tête, les lèvres effleurent ma clavicule. C’est la première fois que je vois ce visage, cette main et pourtant, j’ai l’étrange sensation de les connaître depuis longtemps. Tout ce qui compte à présent, ce sont les corps frémissants, prêts à absorber la musique, la lumière et les caresses.

Elle raffole, Le Point V

  1. Avatar
    Claudia
    | Répondre

    Merci pour ce texte feministe

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