
Werner Bischof à l’Elysée, c’est un photographe, mais deux expositions. Elles présentent deux aspects dans la vie de l’artiste, deux passages évocateurs d’émotions bien différentes. Elles peuvent se visiter séparément ou, si vous les découvrez d’une visite, je vous conseille fortement de fermer vos yeux tant que possible en traversant le premier étage, pour commencer par Helvetica, sous les combles. Cela vous permettra de déposer un regard plus doux et naïf sur les travaux du jeune Bischof, de contempler ses clichés sans les attentes que feraient naître en vous l’observation des clichés plus «matures» présentés dans Point de vue.
Helvetica: expérimentation et ardeur du jeune photographe
L’exposition Helvetica présente les premiers travaux du photographe. Certains, au centre de la pièce (entre les panneaux), ont été réalisés en Suisse, pendant ses études et au tout début de sa carrière. La diversité de ses premiers clichés témoigne de la recherche de son identité, son regard de photographe : des natures mortes, des portraits, des impressions d’ombres sur des corps nus. Je me figure le jeune Bischof, armé de son appareil, bardé de ses fraîches connaissances, à expérimenter : «Et si je photographie comme ça, qu’est-ce que ça donne? Est-ce que ça me plaît?»
Les expérimentations et les natures mortes témoignent d’un souci du détail, un perfectionnisme poussé à l’extrême. Sans difficulté, j’imagine le jeune photographe, enfermé des heures dans son studio, à la recherche de la parfaite combinaison d’éléments. La photo, ici, tend à l’œuvre d’art plus qu’au témoignage de photoreportage comme c’est le cas dans l’autre partie de l’exposition. Les portraits de personnes malentendantes témoignent de ce même souci d’esthétisme : elles paraissent des photos de mode, jusqu’à ce que le spectateur s’approche et découvre, sur les étiquettes, le mandat du photographe !
D’autres travaux, le long des murs, témoignent de ses voyages et d’une forme de recherche de vérité. A la fin de la deuxième guerre mondiale, Bischof, comme de nombreux photographes, a été mu par le désir de documenter les événements. En effet, les Suisses avaient vécu dans une forme d’isolement pendant les années de guerre ; la paix revenue, nombreux sont ceux qui ont voulu aller voir et, par là, peut-être comprendre ?
En 45, Bischof, est parti à vélo en direction du nord. Cela me semble évocateur d’une forme de désir d’authenticité : le vélo a cela de particulier qu’il nous rapproche des gens, c’est un moyen de transport lent, qui nécessite de nombreux arrêts permettant les rencontres et qui nous garde à proximité des éléments. Alors qu’il (re)découvrait l’Europe, il regarde les décombres, mais aussi et surtout la reconstruction. Dans ses clichés, il recherche le regard des habitants et leur enthousiasme, ce désir de retour à la vie «normale» après les années de guerres.

Point de vue: l’inlassable recherche d’optimisme
A l’étage principal (celui de l’entrée principale) Point de vue, est une exposition que j’ai plutôt envie de qualifier «de la maturité». Elle nous présente les travaux d’un photographe professionnel, engagé par des revues, puis l’agence Magnum Photos. Dans cette sélection, il est évident qu’il s’agit du travail d’un photographe ayant trouvé son style, sa propre sensibilité car il y a une forme de cohérence entre les clichés. Ce que les maîtres d’exposition nous permettent de voir via les clichés choisis, c’est le parcours d’un photographe professionnel qui, pour son métier, sait ce dont il a besoin, mais qui, en marge de ses mandats, recherche inlassablement une forme d’optimisme dans les lieux qu’il parcourt pour son travail.
En effet, Bischof visite des zones de guerres (au Vietnam), se rend en Inde, au Japon et en Amérique du sud. En marge des clichés pour ses mandats, plutôt évocateurs de violence, de destruction ou de pauvreté, il propose des clichés d’une grande humanité. Je pense en particulier à ceux de la danseuse indienne ou évidemment celui, très connu, du jeune garçon péruvien dans les Andes.
Alors qu’il se rendait en Corée pour photographier la guerre, Bischof a passé trois mois au Japon. Ces clichés évoquent une recherche d’esthétisme et de douceur. Comme une forme de compensation, d’équilibre nécessaire aux situations difficiles dont il a pu être le témoin en Corée.
La photo intitulée Shinto priests in the court of the Meiji Temple, Tokyo, Japan, 1951, me semble spécialement bien représenter cette forme de douceur : tous les noirs sont atténués par la neige et devenus en gris, donnant à l’ensemble une impression générale de calme et de quiétude.
Bien que je ne les aie pas mentionnés ici, Bischof a également fait de nombreux clichés de ski et quelques uns d’architecture, plus urbains et graphiques, en couleurs, qui méritent tout autant de visiter les expositions ! Profitez du musée, les premiers samedis du mois sont gratuits et des visites guidées sont même organisées !
Plus d’info sur Werner Bischof ici et ici.
Werner Bischof, Point de vue et Helvetica
Musée de l’Elysée
27.01.2016-01.05.2016
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