Balelec Mémétique

Balelec Mémétique

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Hier soir, Balelec a encore su faire se bouger 15'000 personnes sur le site du Poly. Arnaud est allé y faire un petit tour.
Des têtes et des lasers, l'été revient.
Des têtes et des lasers, l’été revient.

18 heures 30, départ trop tôt pour Balelec. La terrasse du Great Escape est pleine de la jeunesse lausannoise et je me demande qui se déplacera sur le site de l’EPFL, à quelle heure les gens seront là, ce qui détermine qui y va et qui reste. L’âge ? La lassitude ? Une amie l’autre jour me disait “je ne connais rien à la progra”. Certes, mais on ne se rend pas au plus grand festoche Étudiant d’Europe uniquement pour la programmation, mais aussi pour faire la fête, tous ensemble, devant ce temple de la geekitude sérieuse et des chemises à carreau avec la petite poche pour le stylo.

Mais quand même, Kadebostany, les genevois fous de l’électro balkanique, Black Uhuru, fondé à l’époque où votre serviteur n’était même pas une lueur lubrique dans le regard de ses parents et ces petits énervés de Bloody Beetroots, dont la dernière visite à Lausanne, au D!,  nous avait fait lâcher un “chuis trop vieux pour ces conneries” témoignant de l’état de délabrement lamentable d’où, j’en ai peur, je vous écris également aujourd’hui, et tous les autres, que l’on ne connaît pas assez, et la scène drum’n’bass, et… et… On va à Balelec parce qu’on l’aime bien, comme le héraut de l’été. Il faut les festivals pour se rendre compte qu’il fait encore jour après vingt heures quand l’hiver est fini. Et on espère ne pas finir sa soirée au fond d’une gouille comme il y a quelques années en cherchant un arbre pour soulager une vessie trop pleine (véridique, mon pote Yannick m’a conseillé cette année d’emporter masque et tuba).

Jongleurs pré balelec 319 heures, il y a la queue pour la caisse, ceux munis d’un ticket traînent devant. Un type à Stetson porte un tshirt où est écrit « Fuck you I’m drunk » et parle d’une voix étonnamment douce à deux filles bien plus jeunes. Des tout jeunes boivent de la bière en cannette à la paille. Le sécu en chef briefe ses troupes une dernière fois. Il fait beau, un peu, on aura eu de la chance cette année, pourtant c’est carnaval. Entre les soundchecks de la petite scène Squatt et les jongleurs qui s’entraînent, on fait le plein de protéines, on boit une bière, pendant que les moins prévoyants font la queue pour la chance d’un billet. Un grand garçon tout de goth vêtu, barbe méphistophélique et bottes coquées, s’étonne un peu avant la vraie entrée qu’on n’ait pas fouillé son sac à dos. Il est presque rassuré d’apercevoir le réel contrôle de sécurité un peu plus loin.

J’ai lu récemment d’un autoproclamé “médiocre critique musical”, Steve Almond, que son métier précédent n’a plus de raison d’être, parce que rien ne sert de porter un jugement esthétique sur des moments musicaux forcément internes. Que la musique aujourd’hui est comprise uniquement d’hédonisme, et que chacun a donc le mérite d’une opinion forcément subjective à l’ère où les majors sortent des disques et les musiciens des vidéos gratuites, participant du grand mouvement d’Existenzmaximum, amorcé par la naissance du Walkman, prolongé par la liseuse et les réseaux sociaux, permettant d’emmener avec soi l’intégralité ou presque de ses souvenirs, de sa bibliothèque et de sa discothèque.

Mais les festivals existent encore, le punk n’est pas entièrement mort ni le hip-hop totalement vendu, et même si une partie de l’électro participe sans complexe des triomphes de la droite française au Fouquet’s, on peut sans pousser mémé dans les orties considérer que même en 2014, il n’est malgré tout pas inutile de parler de la génération de ceux et celles qui sortent pendant les quelques années avant de ne plus penser qu’aux factures et aux prêts étudiants.

sidi larsen balelec 220 heures 30, les Toulousains de Sidilarsen ont la lourde tâche de faire monter la sauce sur la grande scène. Des guitares saturées parlent de sortir le bruit de leurs songes. 20 heures 36, il y a tout juste assez de monde pour surfer sur la foule, le frontman s’y risque un moment. Il y a du Pendulum là-dedans, avec une mesure de Trust aux paroles et dans la voix. Ça pogote encore timidement, pas assez nuit, pas assez bu. Les tshirts, les minijupes, les sacs à dos et les chapeaux de paille en osier sont là, se mêlant aux hardos déjà un peu rougeauds.

Pour les artistes, c’est l’heure de l’apéro. Ça tombe bien, ils ont fini. On prend le temps de passer serrer la main du chanteur au stand. “Trop tôt pour le métal. Quand on était venu la dernière fois, ici à Balelec, c’était plus petit et on avait joué plus tard. Là on n’a pas donné tout ce qu’on pouvait”. Pas d’amertume, simplement la certitude de faire mieux une autre fois. On n’aura senti la fumée que d’un malheureux pétard, vu que trois torses nus. “Les gens ont peur quand il fait encore jour.” On les félicitera pour leur belle énergie malgré les conditions. Un petit tour au stand valaisan, une autre bière…

Et on est parti pour les cousins genevois de Kadebostany. On les avait rencontrés il y a deux Paleos ou trois, impressionnés par une réelle énergie qui arrivait par pure bravade potache à fusionner sonorités balkaniques et électro déjantée. Peut-être sont-ce les basses écrasant les cuivres et la chanteuse, mais le début nous rappelle les heures les plus sombres des derniers spasmes du trip-hop. Quelques chansons, moins pop, plus typées, relèvent le niveau, mais la mayonnaise n’a pas pris. Comme on les a aimés, on les retrouvera plus tard.

Festoche. L’heure n’a plus d’importance quand il fait nuit et qu’il y a autant de monde, nous profitons d’une accalmie pour rater en cherchant des potes le début du concert des Puppetmastaz – parce que c’est ça, aussi (surtout ?), les festivals, tout un paquet d’une génération qui ne fait pas qu’écouter la musique (voire qui ne l’écoute pas du tout), mais des filles en dreadlocks qui posent la tête un instant sur une épaule amie pendant qu’une bande de trop jeunes pour être en Ralph Lauren s’essaient au pogo un peu plus loin. Je pourrais moi aussi faire le médiocre critique musical, comme Steve Almond avant qu’il ne renie l’un des derniers nouveaux journalismes, expliquer pourquoi j’ai aimé ou pas Puppetmastaz (oui j’ai kiffé, mais qui ne kifferait pas de voir un Yoda de feutre et de coton entonner “Fuck Da Police ?” sur un beat ma foi fort sympathique), mais à ce moment de la soirée j’ai retrouvé mes potes parmi les 15000 personnes annoncées, tourné autour des scènes à gauche, à droite, découvert, ouvert mon esprit à un salmigondis de vibes et de beats.

On prend les mèemes et on recommence
On prend les mèmes et on recommence

Un peu avant deux heures, un mouvement de foule, les italiens des Bloody Beetroots aimantent le gros des troupes avec leurs beats électrisés à outrance, ce que les quarantenaires et les esthètes pointus nomment avec un sourire en coin la Techno Maximale. Sir Bob Cornelius Rifo, le leader, a manifestement compris que la culture de notre époque n’est pas à l’expérimentation mais au remix, à la réinvention des icônes pop, geek, et hype des 30 dernières années, à la mimétique et à la mémétique. Mêlant une esthétique Marvel Comics, une rage néopunk dont on ne saura jamais vraiment contre qui elle hurle, des breaks intempestifs et régressifs à souhait (secouez 30 secondes, 10 de break, 10 de montée, rincez, répétez) et mélodies rococo à la Rondo Veneziano sous cocaïne, d’aucuns pourront juger tout ceci épuisant et/ou embarrassant. Mais dans la mesure où tous les bras sont en l’air, où aucun pied ne demeure au sol plus de 3 secondes, faire la fine bouche serait déplacé, voire dangereux tant la jeunesse est chauffée à blanc.

On préfèrera tirer une révérence rhumatique de trentenaire qui comprendrait presque Steve Almond. Personne n’a besoin des critiques musicaux, personne n’a besoin que qui que ce soit donne une opinion qu’on partagera ou pas sur un groupe qu’on aime ou pas. Même le type qui jouait Lester Bangs dans Almost Famous est mort cette année. La révolution Rock’n’Roll n’a plus de héros, ce qui tombe bien parce qu’il ne demeure plus aucun tabou à briser.

Mais Balelec est là, lui, et il est chaque année plus plein. De plus en plus de jeunes sont en quête de musique, d’une esthétique nouvelle qui viendra secouer la culture en standby, en attendant on danse. Les critiques musicaux, en plus de prêcher le cool et le naze, étaient avant tout la voix, le langage, de ceux qui n’avaient pas encore les armes pour des rêves que leur parents espéraient les voir rapidement oublier. Simplement décrire, montrer que c’est beau, bon et digne d’être jeune. Aujourd’hui Steve Almond a vieilli, il doit vendre des livres et tant mieux pour lui si la provoc fait vendre. Il reste qu’aujourd’hui les jeunes sont plus nombreux, et ceux qui parlent pour eux sont de moins en moins nombreux. Leurs grands frères ont abandonné sans former la relève.

Alors, sans voix qui parle pour les jeunes, nous retournerons à Balelec voir les goths et les roots, les popeux et les lascars, les Ralph Lauren et les normcore aller shaker leur booty en les enjoignant à prendre la parole, même (surtout ?) si ça ne sert à rien.

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