Balélec, c’est un peu au noctambule lausannois ce que le coquelicot est au randonneur : un signe du retour du printemps, du retour aux affaires. Finies les soirées « choc thermique » où l’on oscille douloureusement entre les -10°C de la rue et les +35°C du club. Envolée cette crainte de mourir givré sur un quai de gare en attendant le premier train. Place aux apéros dans les parcs et aux doux gazouillis d’oiseaux sur le retour au petit matin. Après une (trop) longue gestation hivernale, le fêtard sort enfin de son cocon TV-canapé pour déployer ses ailes de souillasse en quête de grand air.
Balélec, premier vrai Open-air de l’année, c’est donc en quelques sortes un coup d’envoi, la cloche du ring qui retentit pour lancer les hostilités festivalières. Et en cette soirée du vendredi 9 mai 2014, on sentait bien que les stations du m1 menant à l’EPFL tremblaient sous les pas de tous ces Tyson en mocassins. Ils avaient des flammes dans les yeux les p’tits gars, comme de la marmaille qui a attendu le 25 décembre pendant 364 jours et se retrouve subitement devant le sapin. Ça discutait fort, ça dansait sur les trottoirs, ça lançait des vannes au premier inconnu qui passe. La foire à la saucisse quoi.

Préparatifs
Pour autant, n’oublions pas non plus que de par sa nature précoce, un Balélec réussi exige une préparation rigoureuse, qui échappe trop souvent à l’homme pressé et cause parfois la perte des plus insouciants. Un véritable athlète ne lésine jamais sur l’échauffement, faute de quoi il risque de foutre en l’air toute la saison pour un stupide claquage musculaire. Une expédition vers le premier Open-air de l’année, c’est pareil, ça se prépare avec attention.
Ainsi donc, le noctambule lausannois se voit confronté à d’intenses questionnements relatifs à sa survie, tel l’épineux « dilemme de la petite laine », casse-tête traditionnel des festivals printaniers : La soirée commence à température douce, et se termine dans une rosée glaciale. Les scènes en plein air offrent une atmosphère tempérée, les salles des afters sont de foutues fournaises. Que porter, sacrebleu ? Sans oublier qu’il y a la fourbe, la sournoise, la vile pluie de printemps, qui s’invite sans crier gare et rince rageusement l’auditoire. Choisir l’équipement adéquat, c’est déjà un défi à part entière.
Sur le front
Mais ce n’est pas là le seul dilemme. En effet, Balélec, c’est aussi la tragédie permanente de la non-ubiquité de l’être humain. C’est court une soirée. Et c’est grand Balélec. A l’instant X, on voudrait se trémousser sur du Puppetmastaz devant la grande scène, mais aussi regarder les cracheurs de feu près du club Coupole, retrouver à l’entrée les potes fraichement arrivés mais déjà ivres, tout en faisant la file pour se prendre une bière (c’est qu’il faut bien les rattraper, les potes ivres). Alors bon, on se torture un peu, on opte pour petit b) en se promettant qu’on trouvera un moment pour cocher petit a) un peu plus tard… et paf, voilà qu’il est 4h du mat’, et déjà le personnel un peu fatigué vous regarde avec cet air suppliant, vous invitant à rendre les armes.

Par contre, ce qui est formidable avec le premier véritable Open-air de l’année, c’est tout de même que les troupes sont encore fraîches, gonflées à bloc, un peu comme des cyclistes pour la première étape du Tour de France. Le fêtard n’est pas blasé par tout un été de concerts incroyables, pas épuisé par une session d’examens en mode mort subite, et même pas encore rendu paralytique par les violents premiers coups de soleil de la saison. Il a la niaque, il est en forme, «prêt à bouffer ses tripes et à en redemander une assiette» comme disait le poète. Tant et si bien qu’au moment où les Bloody Beetroots appuient sur le bouton rouge, c’est bien l’entier de la foule qui envoie la purée et saute à tout-va. Aucun bison blessé ne ralentit le troupeau (qui peut ainsi gambader gaiement vers l’abattoir).
L’allégresse retrouvée
Enfin, ce qui est magique avec Balélec, c’est qu’on y retrouve toutes ces sensations oubliées durant l’hiver, qui rendent meilleure la vie du noctambule citadin. La sensation de poser son postérieur dans l’herbe en savourant de grosses basses qui tonnent au loin. D’humer la fine poussière soulevée par ses pieds en dansant frénétiquement sur le champ de bataille. De voir de la bière se renverser sur le gazon en sachant qu’au moins elle profitera aux asticots. Et surtout, avant tout, de regarder le soleil se lever sur les alpes au matin, en se disant qu’on pourra en profiter sur une terrasse l’après-midi qui vient.
Voilà, c’est un peu tout ça Balélec. L’été 2014 peut maintenant démarrer sereinement pour le fêtard lausannois, qui a satisfait aux exigences du rituel. Ok, il y a plein d’autres festivals au programme, plus gros, plus ensoleillés, plus hypes, (plus chers…) Mais Balélec, ça reste un cas à part, pas vraiment comparable, un peu comme la première gorgée de bière, ou comme la première clope du matin. On l’a tant attendu, que le seul fait d’être le premier suffit déjà lui donner une saveur particulière.
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