Arsenic – Les coulisses d’une programmation avec Sandrine Kuster

Arsenic – Les coulisses d’une programmation avec Sandrine Kuster

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L'arsenic est l'élément chimique de numéro atomique 33, noté par le symbole As. C'est aussi un fantastique lieu de création et d'art scénique à la fois barré, épicé, expérimental, coloré, trans, multi, pluri et juste à côté, là, à Lausanne. Après avoir écouté attentivement Sandrine Kuster, je vous parle de l'exercice de composition qui façonne une programmation.

L’Arsenic, centre d’art scénique contemporain, est l’un des phares culturels de la ville de Lausanne. Le bâtiment se cache derrière l’ERACOM dans le quartier de Sévelin-Sébeillon et est voisin de Sévelin 36 et des Docks. On sent dès ses abords qu’il est un savant mélange de vie, d’accueil, de bouillonnement créatif et de spectacle. Ce jour là, une des 5 salles de répétition est réservée pour un petit groupe d’ambassadeurs – plus d’infos par ici – qui ont rendez-vous avec Sandrine Kuster, directrice des lieux. Celle qui tirera sa révérence à la fin de la saison explique comment elle a monté cette dernière programmation et par extension, toutes celles qui l’ont précédées.

Pour résumer les choses à l’extrême, nous pourrions affirmer qu’une programmation est le résultat d’une rencontre entre une mission et une vision. La mission est liée à l’histoire du lieu et se pérennise au fil des ans. La vision est en revanche plus propre à son directeur et se distille à la fois au travers d’accompagnements, de créations ou d’accueil de spectacles et dans sa politique culturelle globale. Examiner ces deux axes permet de lire les saisons foisonnantes de l’Arsenic et de s’y repérer. Au fil de cet article, je vous propose une petite sélection en images qui vous donnera, je l’espère, l’eau à la bouche.

Parce qu'il n'y a pas d'âge pour être des ––– ! – graphisme Atelier Poisson
Parce qu’il n’y a pas d’âge pour être des ––– ! – graphisme Atelier Poisson

Un peu d’histoire

Afin de comprendre la mission du lieu et ses origines, il convient de jeter un regard rétrospectif sur la scène culturelle lausannoise et de suivre les traces du théâtre indépendant et régional. Chaussons nos lunettes et nos barbes d’académiciens pour une courte leçon d’histoire.

Dans les années soixantes, les théâtres étaient encore des institutions bourgeoises qui présentaient dans des salles aux moulures dorées des pièces du répertoire classique. Je caricature, mais on n’est pas loin. Sauf que soufflait sur ces mêmes années un vent de révolte contre un certain conformisme perçu comme élitiste. A la suite de l’Exposition nationale de 1964, Charles Apothéloz, alors directeur du Théâtre Municipal, convainc la ville de conserver le bâtiment construit par Max Bill et d’y installer un théâtre pérenne. Il fonde alors le Centre Dramatique de Lausanne qui se veut être un pôle de création régional et prend possession de Vidy en 1972. L’intention – mettre en valeur le théâtre local – sera développée par Franck Jotterand qui lui succède en 1975. Ce dernier ouvrira par ailleurs l’espace de La Passerelle dédié à des rencontres et des créations expérimentales. Vidy fait son chemin. Il faut attendre l’arrivée de Marie Claude Jequier à la direction du Service de la culture en 1987 pour que le chantier des années 70 trouve un nouveau souffle. Elle se met au travail rapidement et comprend que la vivacité culturelle de la ville peut lui permettre de rayonner à l’international. C’est sous sa houlette que le Ballet Béjart Lausanne est créé, l’année de sa prise de fonction. L’aura, le travail et la vision du chorégraphe bouleversent les codes de la danse contemporaine sur la scène suisse et bien au-delà. C’est elle encore qui nomme, en 1989, Matthias Langhoff à la tête du Centre Dramatique de Lausanne, alors sous tutelle d’une direction transitoire. C’est à ce moment que l’institution devient “Théâtre de Vidy”, nom que nous lui connaissons aujourd’hui.

Une mue et une éclosion

Souvenez-vous, Vidy était alors dédié à la création régionale et au théâtre indépendant. Matthias Langhoff a pour sa part des ambitions bien différentes. Il met en place une compagnie résidente dont il est metteur en scène et ouvre le Théâtre de Vidy à la création contemporaine européenne et internationale. Cette programmation aux horizons élargis lui permet une sélection pointue et contribue au rayonnement que connaît le lieu aujourd’hui. Dans le même temps, il se désintéresse petit à petit de la création régionale et du travail expérimental présenté encore en partie à la Passerelle. C’est à ce moment qu’est finalement décidée la fondation du Centre d’art scénique contemporain l’Arsenic (cherchez bien, leur nom n’est pas si mystérieux) qui aura pour mission d’accueillir les artistes régionaux, méconnus, expérimentaux, performatifs, bref, les bêtes noires du théâtre traditionnel. A sa tête, Jacques Gardel s’attelle à revaloriser ce théâtre de la marge “dont Vidy ne veut pas”. Il encourage le travail des jeunes en devenir et leur assure une certaine visibilité même si, avec un tel carnet des charges, le public est difficile à attirer. Le second directeur, Thierry Spicher, a quant à lui envie de renforcer l’idée d’un théâtre laboratoire et privilégie pendant ses années de règne (1995-2003), les formes hybrides, savant mélange de danse, de théâtre, de musique et d’art performatif. Il contribue à donner sa “couleur contemporaine” au lieu.

La vision de Sandrine

A sa suite, Sandrine Kuster propose de poursuivre son travail tout en renouant avec le théâtre – qui avait été écarté au profit de formes plus hybrides et pluridisciplinaires. Elle parle également du tissu culturel général qui a son arrivée est très favorable à la discipline, avec notamment l’ouverture la même année de la Manufacture. Elle pousse par ailleurs l’ambition et se donne comme mission de sortir le théâtre régional de la marge et de porter la création locale au niveau d’exigence de la création internationale. Elle donne une chance aux « gens d’ici » de développer une démarche, d’être soutenus financièrement et de trouver à terme une renommée plus large et débarrasse l’Arsenic de sa marginalisation.

Un savant mélange

Pour atteindre son objectif, la directrice a engagé une série de mesures comme la construction d’un nouveau bâtiment, plus grand et qui comporte 4 salles de spectacles et 5 espaces de répétitions. Elle réseaute beaucoup, et vu son enthousiasme, elle n’a probablement nulle peine à convaincre. Elle parvient à organiser des partenariats permettant de monter des spectacles en co-production, formule intéressante sur le plan économique. Car oui, ne nous voilons pas la face, les finances sont toujours au centre des programmations. Désormais, trois grands types de spectacles sont montrés à l’Arsenic.

Ivanov – Emilie Charriot, Cie Emilie Charriot – © Marta Panzeri
Ivanov – Emilie Charriot, Cie Emilie Charriot – © Marta Panzeri
Five Easy Pieces - ©Phile Deprez
Five Easy Pieces – Milo Rau–  ©Phile Deprez
Manifestement – Philippe Macasdar et Marielle Pinsard - ©DR
Manifestement – Philippe Macasdar et Marielle Pinsard – ©DR

Les créations – Ce sont des spectacles entièrement élaborés entre les murs de l’Arsenic. Les artistes invités y sont résidents et y développent leur démarche. Leur intention de spectacle, encore balbutiante parfois, est présentée sous forme de dossier à Sandrine Kuster qui sélectionne des projets qui la touchent de par leur forme ou leur thématique. C’est ici qu’on retrouve les jeunes graines comme par exemple Cyprien Colombo, ancien de la Manufacture et pour qui Amazing Grace en février sera le baptême du feu.

Les co-productions – Ce système implique que le spectacle est conçu, financé, produit et exploité par différentes institutions théâtrales partenaires. Une proposition pourra ainsi être montée à l’Arsenic, la première se jouer au Poche à Genève, partir en tournée européenne puis revenir à l’Arsenic. Certains artistes ont par ailleurs bénéficié d’un accompagnement sur un temps long. C’est le cas par exemple de Denis Maillefer ou Marielle Pinsard qui sont désormais des artistes expérimentés mais avec qui Sandrine Kuster s’engage depuis longtemps. Ils reviennent d’année en année présenter leurs créations et constituent des jalons dans la programmation. Leur démarche doit pouvoir se déployer dans le cadre de cet accompagnement, ce qui implique une réelle complicité artistique et un coup de coeur pour une démarche, une écriture, un engagement.

Les accueils – Cette dernière forme constitue la ponctuation d’une saison avec des spectacles déjà montés, qui ont été vus ailleurs et qui sont invités. C’est une forme de choix plus intuitive, sensible et qui s’opère devant un objet déjà abouti, moins fragile qu’en création. Immanquable cette saison : Five Easy Pieces de Milo Rau qui a suscité de nombreuses polémiques mais a séduit le public de La Bâtie. Les spectacles invités permettent également de diversifier une saison composée en majorité (mission) par des créateurs d’ici, forgés par une culture helvétique. Ils offrent l’opportunité d’une ouverture à la démarche singulière d’artistes “émus par une autre réalité économique et sociale”.

La programmation de l’Arsenic ? Et bien c’est tout ça et le résultat est protéiforme. Un tissage sans thématique centrale même si la directrice, humaine, sensible et pétillante a, comme elle le dit elle-même “ses filtres”, forgés par son vécu, son contexte, une actualité personnelle et une actualité collective. Elle perpétue la tradition de l’Arsenic qui s’est toujours distingué avec des spectacles mélangeant les genres et bousculant nos convictions. Il en faut beaucoup pour choquer Sandrine Kuster qui nous le prouve par sa programmation éclectique et irrévérencieuse, stimulante, jeune et risquée. Le risque est son cheval de bataille et la raison pour laquelle elle développe le prix du risque, un tarif unique de 13.- pour tous les spectacles et tous les publics et qui permet à chacun de tenter le coup. Rendez vous sur le site et au théâtre !

Un lapin un rideau – Dominique Gilliot & Maeva Cunci– © gilliotcunci
Un lapin un rideau – Dominique Gilliot & Maeva Cunci – © gilliotcunci
Mourir, dormir, rêver peut-être – © Virginie Otth
Mourir, dormir, rêver peut-être – Denis Maillefer –  © Virginie Otth  
Amazing Grace – Cyprien Colombo, Cie KAMOSHIRENAI – © Lola Giouse
Amazing Grace – Cyprien Colombo, Cie KAMOSHIRENAI – © Lola Giouse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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