T’as voté?

Posté dans : Politique 3
Remplir son devoir de citoyen reste toujours une expérience difficile et culpabilisante. Notre blogueuse en a fait la dure expérience dimanche dernier, à l'occasion des votations fédérales.

« Tutut ti duuuuut… Tutut ti duuuut… » La sonnerie de Jack Bauer me perce le tympan gauche, le téléphone est là au coin du lit, il est 10h10. La fête a été folle la nuit précédente, mais à cet instant précis, l’écran affiche « home » et il va falloir assumer malgré la voix d’outre tombe que je risque d’émettre. Quelques éclaircissements de gorge et… « Allô ? » « Salut chérie, c’est moi (maman bien sûr…). Dis, tu m’achèterais 2 litres de lait à la Coop pronto en rentrant ? Ah et puis, t’as voté j’espère ? » ALERTE ROUGE!

Les yeux rouges aussi il faut dire. Ca y est, on remet ça : le même schéma depuis mes dix-huit ans, une régularité presque admirable. Aujourd’hui nous sommes dimanche, un dimanche pas comme les autres, un dimanche de votations. C’est vrai que c’est un peu une des bases de mon éducation, voter. « On te donne la parole, tu ne vas pas t’auto-museler ?! », comme dit ma mère. Et autant dire que mon entrée dans la faculté de droit de Lausanne n’a fait qu’envenimer les choses : « Une juriste doit avoir son mot à dire », comme dit mon père.

La juriste, ce dimanche, est prise au dépourvu. Je réveille mon homme assoupi et l’arrache violemment des bras de Morphée « Merde, réveille-toi on a oublié de voter ! ». Mon attitude frise la crise de panique. Je titube jusqu’au salon et attrape l’enveloppe au coin de la table. Ca fait un moment qu’elle y est cette enveloppe, me dis-je en ouvrant délicatement cette saloperie d’ouverture non pratique. Je me souviens de cette phrase datée de quelques semaines auparavant : « Ton matériel de vote est arrivé. Faudra que tu m’expliques ce truc sur le paquet fiscal, paraît que c’est une arnaque… » Nul besoin de préciser que mon statut d’étudiante en droit me place automatiquement, selon ma famille, au sommet de la doctrine fiscaliste et me rend de ce fait capable d’analyser en deux temps, trois mouvements les effets d’une modification fiscale cantonale expliquée sur des centaines de pages de discussion au Conseil d’Etat. Mais l’enveloppe n’a pas suscité beaucoup d’intérêt de ma part. Je l’ai embarquée négligemment chez mon homme, l’ai posée à côté de la sienne (pour qu’elle ne se sente pas seule, ai-je dû songer à ce moment-là). Et c’est aujourd’hui seulement qu’elle est passée de document d’importance submineure à HIGHEST PRIORITY FILE.

Le salon devient la salle de décision et nous organisons une réunion de crise. À deux. Enfin, on se fait d’abord un café quand même. 10h32 : huit objets de vote, le moment est grave. Evidemment, il y a les sujets sur lesquels on a tous discuté, ceux où tout est bien défini dans ma tête : je marque une petite croix dans le carré correspondant d’un air assuré, sans ciller un seul instant. Mais alors arrivent les sujets sur lesquels j’étais persuadée d’avoir pris position jusqu’à ce que l’individu nonchalant en face de moi déclare « Ah ouais ? Moi je vote pas ça. J’ai discuté avec Bastien l’autre jour et il a un autre raisonnement… » S’en suivent des arguments non négligeables qui mettent en doute ma capacité à analyser les textes des initiants (et par là même une remise en question de mon orientation professionnelle, mais ça on en reparlera parce qu’il nous reste moins de vingt minutes). Finalement viennent les sujets qui évoquent en moi autant d’intérêt que les études menées par les chercheurs moldaves sur la capacité d’immunité des doryphores hybrides. Non pas que je manque de respect envers les chercheurs moldaves, mais il faut avouer que la question de la désignation des juges assesseurs de la Cour des assurances sociales par le Grand Conseil vaudois n’a probablement pas déchaîné les passions chez les militants du Zélig… Pour ces questions-là, le jeu s’apparente à celui des sept erreurs : j’en choisis une (sans tricher) et regarde vite ce que mon parti de ralliement a voté. En cas d’écart, je corrige le tir, faisant aveuglément confiance à ceux qui y ont certainement plus longuement réfléchi.

Il est 10h52. Après moult débats qui auraient mérité un temps de parole bien plus étendu et une concentration plus intense que celle rassemblée au lendemain de cette soirée au Loft, il faut rendre les armes. Dernier sursaut : « Elle est où ma carte d’identité ?!? » Tout va bien, la voilà au fond de mon sac entre les clés de l’appart’ et le bracelet rose déchiré, vestige d’une autre club party. Il faut faire vite. Heureusement, nous arrivons à temps à la place de la Louve.

10h59 Ah tiens, elle est bien gardée cette place. En effet, on y rencontre une camionnette de flics, des responsables municipaux en costume, de bons citoyens qui bavardent parce que c’est fou comme il fait beau aujourd’hui et aussi parce que c’est bien vrai que Daniel Brélaz a perdu un sacré volume cette année. Et nous. En training. On passe au contrôle d’identité des votants, puis on se dirige vers l’urne et c’est non sans quelque fierté que l’on glisse la petite enveloppe jaune dans la caissette. 11h02 « Ca, c’est fait ! », nous congratulons-nous, pas peu fiers d’avoir effectué notre devoir de citoyen en bonne et due forme.

Sur le chemin du retour cependant, une bonne résolution renaît « Sérieux, la prochaine fois, on s’arrange pour voter plus tôt ». Tiens, ça me fait penser : on est dimanche…

Laurinda Konde

Laurinda Konde

3 Responses

  1. Avatar
    Charles
    | Répondre

     Belle auto-promo. A part ça, aucun intérêt. 

    • Avatar
      supporter
      | Répondre

       Aucun intérêt, vraiment? Je ne suis pas de cet avis. J’ai au contraire beaucoup aimé le ton et trouvé l’article fort bien écrit, qui plus est plein d’humour.
      Belle façon d’encourager une nouvelle blogueuse en tous cas. Ne te décourage pas Laurinda, tu vaux certainement mieux que ce genre de critique ras des pâquerettes.

  2. Avatar
    soniaschmidt
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     Rien à dire. une plume bien affûtée, pour un sujet qui devrait toucher chacun d’entre nous de prêt ou de loin. Je ne peux qu’encourager cette talentueuse jeune fille! 

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