Les interprètes du Collectif R : Au-delà de la traduction

Les interprètes du Collectif R : Au-delà de la traduction

[Le LBB donne Carte Blanche à Jennifer et à Aline pour ce billet] Etudiantes en sciences sociales à l’UNIL, nous sommes parties à la rencontre des interprètes du Collectif R. Habituées depuis de nombreuses années aux classiques dossiers académiques à rendre à nos professeurs à la fin du semestre, nous avons souhaité bousculer nos habitudes et rendre public ce que cette recherche nous a appris sur le métier d’interprète communautaire.

Tout d’abord, une courte  présentation de notre projet. Pour un cours sur la migration à Lausanne, nous avons décidé de nous intéresser au rôle des interprètes dans l’accueil des migrants. Nous avons donc rencontré plusieurs interprètes du Collectif R qui ont volontiers accepté de nous raconter leurs expériences.

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Pour information, le Collectif R est composé de citoyens qui luttent contre les accords Dublin et qui prennent la défense des migrants qui y sont soumis, et qui doivent donc retourner dans le premier pays européen où leurs empreintes digitales ont été saisies. Ce collectif les soutient depuis maintenant un an, en leur offrant protection avec le refuge ouvert, d’abord à l’Eglise Saint-Laurent et maintenant à la Chapelle Mon-Gré.

De la traduction à …

Pour de nombreuses personnes, les interprètes ne font que traduire des mots dans des langues différentes. Nous nous sommes rendu compte que ce n’est qu’une infime partie de cette activité.

Premièrement, par leurs parcours de migration, les interprètes partagent plusieurs cultures. Leur culture d’origine et la culture du pays d’accueil. C’est un énorme avantage quand on est supposé faire le lien entre deux personnes qui ne parlent pas la même langue et qui viennent de deux endroits différents du globe. Les malentendus culturels sont donc fréquents. Une des interprètes que l’on a rencontré nous a raconté qu’elle devait souvent expliquer aux personnes suisses qu’en Erythrée, par respect, on ne fixe pas une personne dans les yeux lors d’une discussion. En effet, lorsqu’elles discutaient avec des Erythréens elles avaient l’impression qu’ils ne les écoutaient pas ou ne les comprenaient pas, car leur regard était fuyant. Dans ce sens, l’interprète, par sa connaissance des deux cultures, doit aider à établir un langage commun et expliquer ces différences culturelles. On peut donc dire qu’il a un rôle de médiateur interculturel en traduisant deux visions du monde différentes.

De plus, il faut aussi tenir compte du fait que lors des situations d’interprétariat, les récits que les migrants racontent peuvent être très douloureux. L’interprète doit être capable de ne pas se laisser submerger par l’émotion pour ne pas casser l’entretien. Cela peut donc faire beaucoup à porter pour une personne, et il faut être capable de trouver un mécanisme afin de se protéger.

L’interprète, un pilier

Selon les interprètes que nous avons interrogés, il est aussi très important d’être un soutien et un point de repère pour les migrants, et de ne pas faire que traduire et basta. Mais, en conséquence, cela peut vous poursuivre jusqu’à la maison et déborder sur la vie privée. Les migrants envoient par exemple des photos de leur courrier lorsqu’ils ne comprennent pas certains mots ou demandent des conseils pour faire une postulation. En cas de crise, c’est l’interprète que l’on va appeler en premier, et non pas l’hôpital. Il arrive qu’ils reçoivent des appels tard dans la soirée ou au milieu de la nuit car quelqu’un s’est perdu. Ils sont aussi susceptibles de recevoir des appels de personnes qu’ils ne connaissent pas.

De plus, l’interprète est souvent survalorisé voire idéalisé dans sa communauté d’origine. Le statut qui lui est attribué peut parfois être lourd à porter. Il y a une sorte de pression, et une volonté de ne pas décevoir, car les autres vous considèrent comme une référence. Une de nos interprètes se retrouve parfois à des mariages ou à des fêtes à devoir répondre à tout un tas de questions. En revanche, dans l’opinion publique, ce métier n’est pas suffisamment reconnu et valorisé.

© www.mediation-time.eu
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Le métier d’interprète peut aussi être lourd de conséquences. Par exemple, deux des interprètes que nous avons rencontrées – qui ont créé une association proposant de la traduction et des cours d’appui s’intitulant Miracle – sont aussi actives dans la politique. Originaires d’un pays sous dictature, leur activité est mal vue par certaines personnes pro gouvernement, et elles ont parfois eu affaire à des « espions » qui cherchaient des informations. De ce fait, à l’heure actuelle, elles ne peuvent plus retourner dans leur pays d’origine.

Au-delà des difficultés qu’il comporte, le métier d’interprète est très enrichissant. Il permet d’acquérir des savoirs dans beaucoup de domaines. Il permet également à celles et ceux qui le pratiquent de prendre du recul quant à leur culture d’origine et d’accueil, d’apprendre beaucoup de choses sur leur pays d’origine, ainsi que sur la Suisse et le fonctionnement de ses institutions. C’est aussi un moyen de se sentir utile en venant en aide aux autres.

Cette recherche a été aussi très enrichissante pour nous. Nous avons découvert des aspects de l’interprétariat que nous ne soupçonnions pas. Cela demande un engagement qui va au-delà de la simple traduction. Nous avons également souhaité rendre la pareille aux interprètes qui nous ont accordé de leur temps en transmettant ce qui leur tenait à cœur.

Aline Jaquier et Jennifer Zodogome

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