Lausanne, à corps défendant

Lausanne, à corps défendant

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Depuis plusieurs jours, la gare de Lausanne est envahie par la dernière campagne publicitaire de Calzedonia, marque italienne de lingerie et maillots de bain. Son usage du sexisme et de l'objetisation du corps féminin n'est pas au goût de tout le monde et c'est tant mieux. Brève analyse d'un phénomène d'expression bien placée.

Cela fait maintenant plusieurs jours que la nouvelle campagne publicitaire de Calzedonia s’est emparée des murs de la gare de Lausanne. Couloirs souterrains, quais, halls, passages… : impossible d’aller prendre le train sans tomber nez à nez avec la silhouette de la top model brésilienne Adriana Lima, qui arbore sans rougir un maillot de bain pour le moins minimaliste.

Ce qui choque et révolte n’est pas le maillot en soi, mais plutôt la mise en scène du corps féminin qu’il est censé habiller. Mince, bronzé, positionné, épilé de toute part et bien entendu retouché, ce corps appartient plus à un certain fantasme publicitaire qu’à la réalité. Les femmes y sont ainsi représentées comme un objet-marchand, comme une obsession masculine, un canon qui, on le sait, n’existe pas, mais n’est forgé par les marques que dans un seul but commercial. Ce corps, et par extension les femmes elles-mêmes, est donc ramené à un rôle d’objet. Il n’y a ici aucun respect, ni aucune humanité.

De plus, l’exhibition permanente et l’irréalité de ce corps-marchand n’a pas que des répercussions purement esthétiques ou visuelles. Il provoque aussi et surtout la création de multiples complexes et insécurités chez la gent féminine et valide une image faussée des femmes (déjà bien appuyée par les attentes masculines et les pressions sociétales), influençant ainsi nos comportements relationnels : les femmes devraient ressembler à ces top models retouchées pour être dans la norme et les hommes devraient n’être en compagnie que de femmes sous régime strict. L’omniprésence médiatique de cette représentation dans nos sociétés (jusqu’à la nausée parfois) accentue d’autant plus cet effet et peut ainsi avoir des conséquences graves sur nos attitudes envers les autres, mais aussi envers nous-mêmes.

Ce problème est donc bien réel et le public prend de plus en plus conscience de son importance. C’est d’ailleurs ce qui est intéressant avec le cas de la publicité Calzedonia, ici à Lausanne. En effet, plusieurs textes mêlant humour et activisme sont rapidement apparus sur les affiches Calzedonia de la gare. En voici un florilège (cliquez sur les images pour les agrandir et découvrir les légendes) :

Ces réactions sont un signe positif et revigorant. Elles montrent bien que l’objetisation du corps féminin n’est pas accepté et que les gens sont encore capables d’esprit critique, de révolte et d’humour, et ce malgré l’ambiance de standardisation qui rôde de plus en plus autour de nous.

Néanmoins, on peut se demander pourquoi cette campagne publicitaire, plutôt qu’une autre, a été visée et pourquoi à cet endroit précis ? En effet, les affichages publicitaires exhibant le corps féminin sont monnaie courante et ne provoquent pas pour autant des réactions d’animosité. 20160521_191938Mais il est ici assez clair que l’hyper-sexualité de la publicité Calzedonia est bien plus poussée qu’ailleurs (position du corps, regard, moue, etc.) et totalement hors-contexte (fond gris et neutre, comme si cette femme pouvait marcher dans la rue comme ça…), provoquant ainsi un rejet plus fort. De plus, la forte concentration de ces affiches à la gare de Lausanne (15 environ) peut facilement créer un écoeurement et un ras-le-bol justifié.

On pourrait aussi émettre l’hypothèse que le fait que ces affiches soient en papier facilite l’apparition de textes révoltés et engagés. En effet, les mêmes affiches posées à la gare, mais sous-verre et rétro-éclairées sont restées immaculées (à l’exception d’une), tout comme les affiches H&M représentant aussi des corps-marchand (mais avec un semblant de contexte : la plage), qui recouvrent presque tous les arrêts de bus de la Place de la Gare. Deux raisons peuvent expliquer cela : peu de monde a un marqueur sur verre dans sa poche, et ces vitres sont sûrement nettoyées au moins une fois par jour.

20160521_083648Ces affichages papier n’ont donc sûrement plus beaucoup de beaux jours devant eux, mais même si tout devait devenir vitré, d’autres solutions d’expression verraient le jour, à l’image de ce pochoir collé, que les nettoyeurs n’ont pas réussi à enlever, malgré leurs efforts certains.

Lausanne : 1 / Calzedonia : 0

(On pourrait même dire Lausanne : 2 / Calzedonia : 0. En 2014, le magasin Tezenis de Lausanne (marque appartenant à Calzedonia) incitait les clientes à partager leurs photos en lingerie et maillots de bain sur l’Instagram de la marque, via un auto-collant situé sur les glaces des cabines d’essayage… Le Matin en parlait déjà.)

Photos ©2016, Lausanne Bondy Blog et Florian Poupelin

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