« Depuis trois jours, je suis en arrêt maladie. J’ai craqué psychologiquement. C’est devenu trop dur. » La voix est tremblante, hésitante. Il sait qu’il risque de se faire licencier en jetant un pavé dans la mare. Mais il n’en peut plus : « Il faut que les gens sachent. » Depuis octobre 2008 et la mise en service du M2, Pierre est employé comme conducteur pour les TL. Les conditions sociales et salariales y sont bonnes selon l’intéressé, mais le problème n’est pas là.
En effet, avec des cadences ramenées à trois minutes trente aux heures de pointe, l’équipe responsable de conduire le métro reliant le lac à Epalinges est en sous-effectif. « L’administration n’arrête pas de dire qu’il vont recruter, mais cela fait 6 mois que nous travaillons à 140 pour cent environ. Ça doit cesser! »
Un manque de reconnaissance généralisé
Au-delà de la charge de travail et des horaires, c’est surtout le manque de reconnaissance à son égard qui a mené Pierre dans cet état : « Ils ne nous remercient jamais. Mes collègues qui travaillent dans les bus ont parfois des soucis avec les jeunes, mais les plus âgés les saluent et sont très gentils. Nous, on a rien. » Il note également que lui et ses collègues du M2 se sentent mis de côté par le reste de l’entreprise. Dernier exemple en date, le souper d’été des employés : « Personne n’est venu discuter avec nous. Nous étions seuls à notre table, c’est comme si nous n’existions pas. Un scandale! » Pendant des années, il a réussi à supporter ces désagréments.
Des pannes pas si accidentelles
Tout s’est accéléré il y a un mois, à cause du départ de sa femme : « Elle disait se sentir seule avec moi. Je crois qu’elle avait besoin d’une présence plus forte à ses côtés. » Alors, complètement déprimé, Pierre a voulu se faire entendre, comme il a pu.
« J’ai commencé par ne pas m’arrêter exprès en face des portes. Du coup, je secouais un peu les passagers pour positionner la rame. Puis, j’ai immobilisé des rames aux heures de pointes. Comme ça, pour rien, entre deux stations. Ou pire encore, à un arrêt, mais en laissant les portes fermées. » Une situation que son employeur a passé sous silence en public, prétextant des pannes, mais qu’il ne pouvait plus ignorer en interne : le conducteur a été mis en arrêt maladie, laissant ses collègues seuls sur le terrain.
Un avenir incertain
Il va falloir régler ces problèmes, selon Pierre : « Pour l’entreprise, d’abord. Comment vont-ils faire avec la construction du M3 ? Il devront bien augmenter l’effectif et, surtout, mieux traiter les chauffeurs. »
Avenir brumeux également pour lui, qui nous confie que « son arrêt maladie ressemble à une mise à pied. » Licencié à cinquante ans, il ne serait pas facile de retrouver du travail, malgré un CV bien rempli, qui révèle des talents multiples chez notre homme invisible : après des débuts comme attaquant au FC Sion, il se reconvertit et devient assistant de magiciens. Puis, lassé par le milieu du show-business, il postule aux TL, qui l’embauchent en vue de la mise en service du nouveau métro.
S’il venait à se faire remercier, il envisagerait de se lancer dans l’humour : « Je n’ai peut-être pas le charisme pour être sur scène, mais je pourrais écrire pour les autres, caché. Avec tout ce que j’ai vécu, j’ai des choses marrantes à raconter. Et puis, cela pourrait faire revenir ma femme. Sait-on jamais. »
Les employeurs de Pierre ne souhaitant pas commenter l’affaire, nous espérons qu’ils finiront tout de même par regarder le problème en face, ce drame personnel ne doit pas passer inaperçu.
Etienne Doyen
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