De la poubelle à l’assiette il n’y a qu’un pas.

En Suisse, nous jetons 250’000 tonnes de nourriture par an, dont 25’000 tonnes qui sont encore consommables. Des chiffres impressionnants!* Et pourtant, c’est pas nouveau, nous vivons dans une société de gaspillage. Que faire ? Le freeganisme est apparu il y a plus de dix ans comme une forme de protestation à ce phénomène. Ce mouvement né aux Etats-Unis s’est petit à petit propagé dans toute l’Europe jusqu’à nos contrées. Les freegans, ou déchétariens, proposent un mode de vie alternatif limitant le plus possible la participation à l’économie conventionnelle qui prône la rentabilité à tout prix. Alternative radicale au capitalisme. Du coup, ils n’achètent rien, ils récupèrent. Leur régime alimentaire constitue leur principale caractéristique ; ils se nourrissent essentiellement de déchets trouvés dans les poubelles industrielles. Paraît-il qu’aux Etats-Unis, les meilleurs spots sont les grandes surfaces et les fast-food qui jettent les restes sur le trottoir à partir de 22 heures. Qu’en est-il à Lausanne ? Qu’advient-il de tous ces aliments que l’on jette?

Le sujet est délicat. Migros, Coop, Placette, Globus, McDonald, chacun me fait changer cinq fois d’interlocuteur ou me dit de rappeler demain. Bien sûr, le lendemain “il faut rappeler demain”. Tout le monde n’est pas autorisé à aborder le sujet. Globus par exemple, après plusieurs coups de fil et quelques jours d’attente, m’a envoyé un mail disant que le directeur lui-même répondrait prochainement à mes questions. Et j’attends toujours… Par contre, la responsable de la communication McDonald a fini par me répondre. Ils ont d’ailleurs leur façon toute particulière d’être sensibles au gaspillage. Ils estiment les quantités de nourriture à vendre selon l’heure et l’affluence afin de limiter les pertes. C’est une bonne chose, surtout quand on sait qu’un hamburger est considéré comme invendable au bout de 10 minutes d’existence. C’est parce qu’il n’est plus comestible ? “Non… C’est pour des raisons de qualité”. Cela signifie que les hamburgers jetés après 10 minutes sont tout à fait consommables et les employés eux-mêmes n’ont pas le droit de les conserver. Mais heureusement, grâce aux estimations mentionnées tout à l’heure, il n’y a pas beaucoup de pertes… Non, les restes ne sont pas jetés sur le trottoir ! Les déchets organiques sont transformés en biogaz dont l’utilisation réduit les émissions de gaz à effet de serre. Environ 40% des déchets sont ainsi recyclés, alors que demander de plus… Finalement, le McDo c’est écolo ! Je n’entends pas parler de redistribution et je ne sais pas ce que deviennent les 60% de déchets restant.

J’obtiens également des réponses de la Migros, la Coop et la Placette, qui se trouvent être assez homogènes. Les trois magasins sont catégoriques, il n’y a pas de déchets alimentaires dans leurs poubelles. Ce n’est pas toléré. Enfin “en principe”, “normalement”, “peut-être juste une ou deux vieilles pommes par erreur”. Je décide alors de me transformer en freegan le temps d’une soirée afin de vérifier tout ça. Pour l’occasion, je me fais accompagner en voiture. P’tit coup d’oeil à gauche, p’tit coup d’oeil à droite, on fonce vers les poubelles se concocter un petit souper! Mais je constate que celles-ci ne sont pas vraiment accessibles. Je n’ai pas fait le tour de tous les supermarchés mais la plupart des containers sont enfermées dans des hangars, ou cadenassées. Mon shopping nocturne ne sera donc pas fructueux… Peut-être que je suis mal tombée! 

Cependant j’avoue que je m’attendais un peu à cette déception. Depuis peu, la ligne directrice des magasins sur lesquels je me suis renseignée est de donner tous les aliments encore consommables soit à des exploitations agricoles pour nourrir les animaux, soit et surtout à des associations venant en aide aux démunis. En effet, face aux freegans qui se nourrissent dans les poubelles non pas par manque d’argent mais par idéologie, il existe une autre réalité qui est celle de ceux qui n’ont tout simplement pas d’autre choix. Pour pallier cela, l’association Tables Suisses récolte régulièrement des denrées alimentaires notamment mises à disposition par ces supermarchés. Notons que c’est l’association qui fait appel à eux et non l’inverse. Celle-ci redistribue ensuite la nourriture à des institutions sociales en passant par exemple par la CARL (Centrale Alimentaire Région Lausannoise) qui assure le lien entre donateurs et associations caritatives. Tables Suisses Vaud ce sont trois fourgons réfrigérés qui sillonnent la région tous les jours. Le tout géré par des bénévoles (d’ailleurs ils en cherchent toujours!). La section vaudoise n’existe que depuis 2006. Avant ça, m’explique le responsable, ces aliments qui garnissent aujourd’hui des assiettes étaient directement jetés à la poubelle. Mais le gaspillage n’est pas seulement le propre des grandes surfaces ou des fast-food. C’est aussi un problème de particuliers. En Suisse, 36kg de nourriture sont jetés par habitant chaque année, alors que 380’000 personnes ont du mal à subvenir à leurs besoins primaires. Ca fait réfléchir.

* www.tables-suisses.ch
   www.freegan.info

Cristina Sanchez

Cristina –