CdL 32 : Quand Max et Anasthasie s’invitent dans le club.

CdL 32 : Quand Max et Anasthasie s’invitent dans le club.

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Les Chroniques de Lausanne - Chapitre 32 : Où l'on parle d'agressivité virile, de bite, et de couteau.

Max échangea son sourire un instant contre une grande inspiration, avant de se diriger vers un tabouret de bar miraculeusement laissé libre pendant plus d’une fraction de seconde. Emilien, à l’autre bout du comptoir, buvait une bière les yeux fermés. Les battements dans sa poitrine répondaient à celles des basses de la boîte en un staccato certes cacophonique, mais pas déplaisant pour deux sous. Peu importe l’endroit, peu importe le club, à Lausanne on ne sortait pas pour la qualité de la musique, et s’il avait généralement tendance à se plaindre de la pauvreté des programmations, ce soir la sortie était une distraction bienvenue. Dès leur entrée dans la boîte, Sam avait eu l’air de se calmer un peu, et Max décida qu’il était temps de laisser pisser l’affaire. Toutefois, un léger sentiment de malaise subsistait en lui. Il lui apparaissait de plus en plus clair que son pote allait mal, vraiment mal, et que ça durait depuis un bon moment déjà.

Depuis le départ de Hans, Max avait lui aussi été saisi de tristesse, ce mec était leur pote, quoi, il aurait au moins pu donner des nouvelles, leur envoyer un mail, un tweet, un poke, ou n’importe quoi, merde, c’était pas si difficile. En bon geek averti, Hans n’avait utilisé facebook que quelques mois avant de décider qu’il n’était décidément pas prêt à subir autant de pub et de vigilance concernant sa vie privée, il ne s’adonnait déjà plus à l’étalage de ses états d’âme sur la plate-forme depuis longtemps, mais il y avait d’autres manières, même s’il avait quelque chose à leur reprocher, même s’il était parti aussi fâché que Sam le lui avait raconté. Max aurait tant voulu lui parler avant son départ, comprendre pourquoi du jour au lendemain leur situation, leur groupe, leur petite famille ne lui avait plus suffi.

Au fond, ce n’était guère pour lui-même que Max voulait tant savoir. Depuis le départ de son père, puis de sa mère, il avait bien compris que lorsqu’on aime les gens, il faut savoir les laisser partir ou vivre éternellement avec la responsabilité d’avoir été un frein. Mais Sam n’avait jamais su comprendre un départ, et Max aurait aimé avoir les mots pour lui expliquer que quoi qu’Hans fasse, quoiqu’il décide, il restait leur pote à eux, malgré la distance, malgré le changement radical qu’il leur avait imposé par son départ. Mais il avait attendu un des rares moments où Max était loin de chez eux, loin de Lausanne, comme s’il avait voulu s’éclipser en faisant le moins de bruit possible, pour ne pas faire toute une histoire d’une décision peut-être prise depuis longtemps déjà. Max s’était demandé ce qui se serait passé s’il avait dû, ou voulu lui-même quitter Lausanne, comment il s’y serait pris, mais le raisonnement était si stérile, tant l’idée de laisser Sam, et ses ésotéristes, et Emilien maintenant, et Millia, malgré tout, lui semblait totalement impensable.

« On est pensif, ce soir, mon cher ? », apparut une Anastasie essoufflée, les grands anneaux dorés à ses oreilles tintinnabulant contre ses lunettes. D’un geste un seul, elle se fit servir une vodka-red bull, gratifiant le barman d’un sourire enjôleur qui mit à mal, l’espace d’un instant, l’efficacité du professionnel. Totalement inconsciente de son écrasante victoire, Ana s’était retournée vers Max. « Je pensais pourtant qu’une soirée teintée d’héroïsme comme celle-ci était propice au repos du guerrier…

-Ouaif, répondit Max, tu sais je crois que les héros sont fatigués.
-Dois-je conclure que le dragon était plus terrible encore qu’aux dires de Sire Samuel ?
-Tu parles… Et puis tu te trompes de cible, moi je suis celui qui n’a rien fait, comme d’habitude. J’aurais été tout seul, le type, il serait mort à l’heure qu’il est… Tu comprends j’allais pas risquer un coup de couteau, ma petite vie précieuse, tout ça, j’ai rien fait, moi, j’ai attendu que le dragon se casse pour que mes jambes commencent à bouger…
-Ce n’est pas ce qu’a dit Sam. Il a dit que vous aviez fait peur à ce type, et que vous l’aviez emmené à l’hosto, fin de l’histoire.
-Il est gentil, Sam, il descend pas les copains, la corrigea Max dans une grimace.

Il baissa les yeux, penaud, petit garçon vexé, en colère contre lui-même. Il sentait le regard d’Ana chercher le sien, mais la honte le poussait à fuir, fuir chaque fois plus loin. Agacée, elle posa une main sur chacune de ses joues, et sortit de force ses baskets jaunes de son champ de vision.
-Tu crois vraiment que quand j’ai entendu l’histoire, j’ai vraiment pensé que tu t’étais jeté dans la mêlée avec ta bite et ton couteau ?
-J’aurais bien voulu, mais j’avais pas ma bite sur moi…
Elle pouffa de rire, emprisonnant ses yeux dans les siens avec une volonté inéluctable.
-Est-ce que tu crois vraiment que les gens t’aimeront un jour pour ton agressivité virile, mon cher ? Est-ce que tu crois vraiment que ton épitaphe dira « Ci-gît Max, c’était un warrior, un mâle, un tatoué » ?

Max pouffa de rire à son tour.
-Probablement pas… Mais tu vois, quand j’ai vu ce type par terre, et cet autre qui le lattait par terre, tout ce que j’ai réussi à penser, c’était à qui avait commencé, qui avait raison, s’il y avait une explication, un truc, qui pourrait expliquer ça. Mais ça servait à rien, ça, il aurait fallu…
-Il aurait fallu tirer d’abord et poser les questions après ?
-Pas tirer, mais…
-Ne m’interromps pas quand je t’infuse de ma légendaire sagesse, jeune effronté. Ce soir, comme tout le monde, tu as fait le maximum qu’on peut attendre de tout le monde, c’est-à-dire de ton mieux. Tu crois vraiment que j’ai cru Sam quand il a dit que vous étiez tous d’accord pour emmener le type à l’hosto ? Pas plus que je l’ai cru quand il m’a dit que vous aviez tous chassé le méchant toxico.

Elle aspira un instant par sa paille, donnant à son soupir de maman excédée une odeur chimique.
-Tu peux pas être tout le monde à la fois, Max. Tu peux pas toujours avoir raison, tout le temps. Y a pas énormément de qualités dans ce bas monde, laisses en un peu pour les autres.

Max releva un peu la tête, puis lança, narquois.
-Je pensais te laisser le don d’imitation, j’ai cru que tante Agathe était passée m’engueuler entre deux morceaux de reggaeton…
-Très drôle. Allez, viens, je crois que Zelda a une touche… Et je crois que ta manière à toi vaudra mieux que mon talon à travers le pied. Il est temps de faire preuve de ta légendaire diplomatie…

Zelda, menue, si menue au milieu de la foule, se tenait droite comme un i devant un quarantenaire titubant et tactile qui la faisait reculer d’un pas toutes les 3 secondes, chaque fois qu’il s’approchait un peu. Ana prit Max par la main, et l’entraîna à travers la foule.

A suivre…

Photo CC : mitchiru

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